FIRMES
La multinationale Wal Mart encaisse aussi les plaintes
Aux Etats-unis et au Canada, la contestation contre Wal Mart prend de l’ampleur. La compagnie a encaissé trois plaintes par jour en 2004. La chaîne est accusée d’accroître le chômage et d’empêcher les employés de se syndiquer. Retour sur une multinationale de la distribution qui s’apprête à conquérir le marché européen

Philippe de Rougemont / DATAS

Avec 1500 centres et 1,3 million d’employés dans une dizaine de pays, Wal Mart est la plus grande chaîne de centres commerciaux aux Etats-unis. La multinationale importe des produits manufacturés notamment de Chine et les revend à des prix cassés. Wal Mart, c’est 47,5 milliards de dollars de chiffre d’affaires et près de 3 milliards de bénéfices en 2004. Mais ce succès se fait sur le dos des employés et des fournisseurs. Selon Greg Denier du syndicat Nord-Américain UFCW fort de 1,4 millions de membres, « les Américains ne peuvent pas vivre sur un salaire de Wal Mart, pourtant c’est l’employeur dominant. L’avenir de l’Amérique laborieuse dépendra de ce que Wal Mart paie »

Lourdes accusations
Michael Fraser, directeur du Syndicat canadien TUAC, fustige lui aussi Wal Mart “ qui paie ses employés entre 7 et 8 dollars canadiens par heure (entre 8 et 9 francs), alors que nos membres reçoivent eux de 12 à 24 dollars ”. Son souci : “ l’ouverture de grandes surfaces qui paient des salaires et fournissent une couverture médicale plus bas, cela va avoir un impact sur tous nos membres aux Canada ”. « Sans syndicalisation, les employés ne verront pas leur condition s’améliorer ». La direction de Wal Mart en est bien consciente et affirme sans scrupules vouloir maintenir ses magasins « libre de syndicats ». Aux premiers signes d’une mobilisation d’employés, Wal Mart envoie une équipe de casseurs de syndicats professionnels. « En 35 années dans la profession, je n’ai jamais rencontré une compagnie aussi déterminée que Wal Mart, ils ont une tolérance-zéro » affirme le repenti Martin Levitt, ex-employé de la firme dans son livre « Les aveux d’un casseur de syndicat. »
Face à la concurrence de Wal Mart, les petits commerces sont condamnés à fermer boutique. Selon la centrale syndicale étasunienne AFL-CIO, pour deux emplois créés par Wal Mart, trois seront perdus dans la vente, sans compter le secteur manufacturier sinistré par la politique de prix pratiquée par Wal Mart envers ses fournisseurs. En écoulant jusqu’à 80% de la production de certains fabricants locaux, Wal Mart impose chaque année des prix décroissants aux fournisseurs, jusqu’à miner leur rentabilité. Résultat, Schrade, Winchester, Schwinn, Sunbeam, Black&Decker, Rayovac, parmis d’autres, ont dû délocaliser leur production, essentiellement en Chine. Comble de l’ironie, les ouvriers américains qui ont perdu leur emploi à la suite des délocalisations se voient contraints de travailler à Wal Mart, le plus grand employeur du pays, et de vendre des articles désormais “ Made in China ”.

Wal Mart se défend
Andrew Pelletier, porte-parole de Wal Mart, rejette les accusations. « Lorsqu’un nouveau centre est ouvert, on reçoit 10 candidatures pour chaque offre d’emploi. Sommes-nous l’employeur parfait ? Non, bien sûr que non. Notre stratégie, c’est d’être le meilleur employeur possible ”. A ce niveau, Wal Mart a encore des progrès à faire aux Etats-Unis, où un projet de nouveau centre sur trois fait face à des oppositions administratives et judiciaires. L’expansion Nord-Américaine freinée, Wal Mart projette d’ouvrir 130 centres à l’étranger. Le marché unique européen est essentiel, mais la culture syndicale du Vieux continent fait pour l’instant obstacle. En Allemagne, qui compte déjà 92 “ Super-centres ”, le chercheur en sociologie Heine Hœnheim rapporte que “ Wal Mart refuse de signer la convention collective, et encaisse des plaintes ”. Interrogés sur une possible expansion en Suisse, la direction de Wal Mart à Bentonville (Arkansas) déclare que s’ils avaient de tels projets, ils n’en parleraient pas, “ pour des raisons évidentes ”.

En attendant, les ONG environnementales s’insurgent contre la multiplication de centres commerciaux, avec leur lot de trafic motorisé, de surfaces agricoles confisquées et d’étalement urbain incontrôlé. Pour Sonja Ribi, de Pro Natura, “ l’établissement de règles juridiques internationalement valables dans le domaine de la responsabilité des entreprises est primordial. Le dialogue de l’ONU avec les multinationales et autres initiatives volontaires sans mécanisme de sanctions, ni de contrôle, ne suffisent pas. Pro Natura tire la sonnette d'alarme avant que les derniers garde-fous ne soient totalement sacrifiés à la compétitivité ”.

Au dernier Forum économique mondial de Davos (WEF), l’organisation écologiste s’est jointe d’ailleurs à la Déclaration de Berne pour décerner un prix spécial aux « entreprises les plus irresponsables ». Wal Mart à été distinguée dans la catégorie “ droits des travailleurs ”.