FIRMES
Syngenta: fausses livraisons de vrais OGM
La firme bâloise confirme avoir livré aux USA, pendant quatre ans et "par erreur", une variété de maïs génétiquement modifiée qui n'est pas approuvée par l'Administration américaine. Les cultures de maïs bt10 à détruire couvrent 150 km2

Gilles Labarthe / DATAS

(26/03/2005) La nouvelle est sortie en détail dans le dernier numéro de la revue scientifique Nature, datée du 23 mars 2005: pendant quatre ans, de 2001 à 2004, le géant de l'agroalimentaire Syngenta a vendu et livré "par accident" une variété de maïs OGM interdite sur le sol américain. La firme bâloise commercialise depuis quelques années le maïs modifié bt11, du nom d'une protéine à l'action pesticide (bacillus thuringiensis). La consommation et la culture du bt11 sont approuvées aux Etats-Unis et dans d'autres régions du monde. Pas le bt10, par contre. Cet OGM a pourtant bel et bien été distribué par mégarde et cultivé par des agriculteurs étasuniens, jusqu'à couvrir une surface de 150 kilomètres carrés.
Contactée au siège américain de Syngenta à Washington DC, Sarah Hull nous le confirme: "C'était une erreur, elle a eu lieu en phase de développement pré-commercial du bt10. Nous avons depuis identifié précisément où le bt10 avait été acheminé et cultivé. Nous avons alerté en décembre 2004 les agences de contrôle américaines. Ces dernières ont ouvert une enquête, à laquelle Syngenta apporte son entière collaboration", poursuit la porte-parole du groupe suisse.
Subtile différence
"La différence entre le bt10 et le bt11 est très subtile. Elle se situe au niveau d'une poignée de nucléotides sur une section de gène, explique la responsable. Les deux variétés contiennent la protéine bt, approuvée par l'Administration US pour la consommation humaine et animale". Quelle quantité de maïs bt10 les agriculteurs ont-ils achetée, au lieu du bt11 commandé? "Environ 44 000 tonnes, ce qui représente une part infime sur l'ensemble du maïs planté aux USA, peut-être 0,01%", relativise Sarah Hull.
La revue Nature avance de son côté une estimation de "plusieurs centaines de tonnes. Même si ce maïs bt a la réputation d'être sûr, le fait qu'il ait été vendu pendant des années par inadvertance pose de sérieuses questions - entre autres, sur la manière dont les firmes de biotechnologies contrôlent leurs activités". Syngenta n'a pas voulu préciser si le bt10 avait entre-temps été livré à d'autres pays que les USA.
L'ennui c'est que, comme le rappellent les promoteurs des OGM, le maïs transgénique bt peut être destiné à de multiples usages: alimentation des élevages, composant pour l'alimentation humaine, cultures extensives.
Certains observateurs se demandent alors comment le géant agroalimentaire, leader mondial en biotechnologies, a pu localiser aussi exactement la destination du bt10 sur le sol américain, d'autant qu'il a mis quatre ans à s'apercevoir de son erreur de livraison. La multinationale Syngenta se serait rendu compte de sa "gaffe" lorsqu'un de ses producteurs de semences, qui tentait d'utiliser le maïs transgénique pour une de ses expérimentations, découvrit contre toute attente qu'il ne manipulait pas le bt11. La firme aurait ensuite averti l'Agence de protection de l'environnement (EPA), la Food and Drug Administration et le Département américain de l'agriculture (USDA), responsables des autorisations pour les produits OGM.
Erreur malvenue
"Les agences américaines et Syngenta ont alors passé plusieurs mois à débattre pour savoir ce qui devait être fait, comment et quand l'information devait être rendue publique. Les officiels de la Maison-Blanche ont également été impliqués dans ces discussions sensibles", souligne la revue Nature.
Toute cette histoire tombe mal: "La question qui risque de se poser pour les pays qui importent de la nourriture des Etats-Unis est de savoir s'il existe un contrôle adéquat mis en place" sur les organismes génétiquement modifiés, s'inquiète Michael Rodemeyer, directeur de Pew Initiative on Food and Biotechnology, un think-tank basé à Washington. Elle risque de relancer le vieux conflit qui oppose intérêts américains et législation européenne sur la traçabilité des OGM.
Rappelons que le maïs bt est régulièrement condamné par des organisations de défenses de l'environnement au Canada, en Belgique et en France. Les Amis de la Terre s'inquiètent de répercussions à moyen terme sur l'écosystème. L'ONG estime que les preuves de son caractère inoffensif sont encore insuffisantes. En 2000, des chercheurs de l'Université de New York et de Caracas (Venezuela) ont démontré que le maïs bt "suinte" - les propriétés insecticides se fixant durablement dans le sol, au risque de contaminer des rongeurs et de tuer une variété de papillons.
Le maïs bt11 de Syngenta a pourtant été approuvé par l'Union européenne pour la consommation. Le bt10, lui, a seulement fait l'objet de rares évaluations de la part de scientifiques rattachés au Gouvernement américain - il serait sans effets sur l'environnement, selon les résultats des premières recherches. Le Département américain de l'agriculture livrera ces prochains mois sa version de l'enquête.
En Suisse, seule la consommation du bt11 est autorisée, informent l'Office fédéral de la santé publique (OFSP) et de l'agriculture (OFAG), qui a interdit la dissémination de la semence dans l'environnement. "Nous n'avons reçu aucune demande de commercialisation du bt10 de Syngenta, qui est produit depuis 2001, précise à Berne Roland Charrière, de l'OFSP. Les seules informations dont nous disposons sur le bt10 nous viennent des Etats-Unis".