ANALYSE
Mali : les opérateurs miniers ne connaissent pas la crise
(09/03/2013) La situation de chaos que traverse le Mali depuis le coup d’Etat de mars 2012 s’est vite transformée en aubaine pour les multinationales exploitant les mines d’or au sud et à l’ouest du pays. Non seulement le gouvernement provisoire a fermé les yeux sur toutes sortes d’abus commis sous le régime d’Amadou Toumani Touré, mais il leur a accordé de nouveaux avantages. Objectif : accélérer la production et se constituer un « trésor de guerre »

Gilles Labarthe / DATAS

« Amadou Baba Sy s’imprègne des réalités sur le terrain » : c’est sous ce titre que le journal malien Le Reporter commente la visite effectuée ces derniers jours par le nouveau ministre de Mines à l’ouest du pays. Amadou Baba Sy s’est en effet rendu dans la région de Kayes – une zone riche en or, couverte de concessions minières, mais dont la population compte parmi les pauvres du Mali. Se voulant rassurant, le ministre a renouvelé les promesses de développement. Il a parlé d’une meilleure gestion du secteur aurifère et d’une participation accrue de l’Etat malien. Il a même évoqué « la mise en place d’une réserve d’or » nationale.

Cette réserve serait en effet une nouveauté. Depuis une décennie, le pays produit en moyenne 50 tonnes d'or par an. La seule région de Kayes renferme cinq mines d’envergure internationale, toutes contrôlées par des opérateurs étrangers : Sadiola, Yatela, Loulo, Gounkoto et Tabakoto. Mais au Mali, il n’y a « pas pour le moment un gramme d’or dans une banque », a reconnu Amadou Baba Sy. Comment l’expliquer ?

Au Mali, on peut dire que la production d’or a vraiment décollé sous les deux présidences d’Amadou Toumani Touré (surnommé « ATT », élu à la tête de l’Etat en 2002 puis réélu en 2007). Son régime a instauré une véritable chape de plomb sur les activités des multinationales minières. Le code minier leur a aussi offert des conditions très favorables : absence de taxes sur les premières années d’extraction, libre rapatriement des capitaux, part de l’Etat minorée à l’extrême, etc.

Les mois précédant la destitution d’ATT au printemps 2012, plusieurs partis d’opposition avaient encore exprimé leur ras-le-bol face à l’opacité et la corruption entourant le secteur des mines d’or, un des deux piliers économiques du pays avec la filière coton. La fin du régime compromis et laxiste de Toumani Touré aurait pu laisser espérer du changement. Mais que s’est-il passé après le coup d’Etat de mars 2012 ?

La déstabilisation a certes été l’occasion de faire sortir certaines révélations. Parmi les plus gros scandales, la presse a révélé comment des multinationales de l’or - dont celles exploitant Tabakoto - ont profité du climat de corruption généralisé des douanes maliennes pour importer frauduleusement, ou par le biais d’exonérations de taxes abusives, des centaines de tonnes de carburant. Cumulé avec d’autres dérapages, irrégularités et « oublis » de l’administration malienne, il en résulte que, « entre 2008 et 2010 l’Etat malien a renoncé à plus de 10 milliards de FCFA au profit des opérateurs du secteur minier », écrit à Bamako L’Enquêteur. Soit un manque à gagner de quelque 20 millions de dollars.

Autre sujet de discorde : les anciens codes miniers de 1991 et 1999 n’ayant jamais été abrogés, les opérateurs tirent parti de la situation en se calant d’office sur les législations qui leur sont le plus favorables. Signalons enfin la vague de licenciements que les opérateurs canadiens et sud-africains des mines de Sadiola et Loulo ont soudain orchestrée en été 2012 : ils ont profité de la situation politique instable pour renvoyer environ 500 travailleurs maliens, sous prétexte d’un ralentissement de production.

Un ralentissement, vraiment ? Les deux premiers mois suivant le coup d’Etat de mars 2012, la plupart des multinationales assuraient que leurs activités n’étaient pas affectées par la crise – ou seulement de façon très momentanée. Certes, les actions de certaines compagnies ont brusquement décroché à la bourse de Toronto, avec la méfiance passagère des investisseurs… mais la logique de rentabilité a très vite repris le dessus.

Dans ses messages aux actionnaires, l’opérateur canadien Avion Gold mentionnait une production pour la mine de Tabakoto de 2,8 tonnes d’or pour 2011. En été 2012, il annonçait déjà une hausse nette de ses activités. Puis en octobre, il vantait des chiffres de production record pour la période juillet-août-septembre, visant les 4 tonnes de production pour 2012. Dans les semaines qui suivaient, il réussissait une très belle affaire : la revente de ses actifs dans la mine de Tabakoto à une autre compagnie canadienne, Endeavour.

La transaction a fait le tour de médias boursiers comme Bloomberg, et de quelques journaux maliens, comme Le Griot : « Cette nouvelle opération dans le secteur de l’or prouve une fois de plus qu’il n’est pas du tout affecté par la crise politico-militaire. 376 millions de dollars américains. C’est le montant qu’Endeavour va débourser pour (…) le gisement de Tabakoto (…) Car, rien qu’avec cette mine, le canadien peut espérer atteindre une production de 300 000 onces d’or, soit 9,5 tonnes du métal précieux. Ce qui correspondrait au double de ses performances de l’an dernier ».

Comment interpréter une telle course en avant dans l’extraction industrielle de l’or, au sud et à l’ouest du pays, tandis que l’attention des médias est tout entière focalisée sur l’intervention armée française et la chasse aux terroristes, dans le nord ? « L'activité minière est l'une des priorités du gouvernement de transition », martèle le nouveau ministre des Mines, Amadou Baba Sy. Désormais, cette « priorité » malienne se décline en trois temps : concéder toujours plus d’avantages aux opérateurs miniers, accélérer les cadences d’extraction… et remplir les caisses de l’Etat, afin de se constituer un nouveau trésor de guerre, au nom des dépenses militaires engagées et à prévoir dans la lutte contre les mouvements terroristes.

La population malienne y trouvera-t-elle son compte ?

(encadré 1)
Les opérateurs de Tabakoto, épinglés depuis 5 ans
Les sites de Tabakoto, dans le cercle de Kéniéba (sud-ouest, à la frontière du Sénégal) constituait l’ultime étape du ministre des Mines en déplacement. Aux alentours de lieux d’orpaillage connus depuis des générations, les gisements de Tabakoto sont exploités depuis 2006 par des multinationales canadiennes, qui ont creusé une mine industrielle à ciel ouvert et depuis 2012, une grande mine souterraine. Les problèmes liés à la disparition de revenus miniers n’ont pas tardé. Ils ont été dénoncés à répétition.

Dès septembre 2007, la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme-FIDH accusait les multinationales opérant dans la région de pollution massive, de ne pas contribuer au développement régional, de tenter par tous les moyens de reverser le minimum de dividendes à l’Etat. A cette époque, le gisement de Tabakoto était exploité par la société canadienne Nevsun, plusieurs fois épinglée par des ONG pour l’opacité de ses comptes et la localisation de sa direction financière pour l’Afrique (La Barbade, paradis fiscal).

L’exploitation a été reprise en 2008 par Avion Gold. En juillet 2009, ses dirigeants ont dû faire face à des émeutes de la population locale. Pendant plusieurs jours, les manifestants ont dénoncé les déplacements forcés de villageois de leurs terres ancestrales et lieux d’orpaillage traditionnels, la spoliation de leurs richesses, l’absence d’emploi dans la mine industrielle... le gouvernement leur a répondu en envoyant sur place des contingents de militaires, gendarmes, gardes et policiers, afin de protéger les opérateurs privés et de mener une véritable traque contre les manifestants.

C’est ensuite un rapport accablant de l’Initiative pour la Transparence des Industries Extractives (ITIE), publié en décembre 2011, qui a remis en cause la gestion inextricable et impossible à retracer des revenus miniers de Tabakoto, entre autres. Sur 44 sociétés identifiées par ITIE dans cette procédure et contactées, seules 27 ont soumis leurs formulaires de déclaration. Parmi les mauvais élèves : Nevsun, et Avion Gold. Elles n’ont jamais envoyé le détail de leurs paiements. Par contre, elles ont bien informé leurs actionnaires. En 2010, Avion Gold leur annonçait que l’or malien qu’elle « sortait » du site de Tabakoto lui « coûtait » seulement 574 dollars l’once, tout en lui rapportant… 1700 dollars sur le marché mondial.

Gilles Labarthe / DATAS

(encadré 2)
Or malien expédié en Suisse
Pendant des années, Nevsun expédiait sa production d’or extraite à Tabakoto en Suisse, pour affinage, indique un document contractuel établi devant les autorités de contrôle des marchés financiers américains (US Securities and Exchange Commission). Au moment des émeutes de juillet 2009, Avion Gold avait repris les commandes de l’exploitation. Une source atteste que la destination de l’or restait la même : « la Suisse, via Genève-aéroport ».

Aujourd’hui encore, les problèmes sociaux et environnementaux liés à la mine industrielle de Tabakoto subsistent, témoigne en France un ressortissant de Kéniéba : problèmes de santé ; poussière soulevée par les opérations à ciel ouvert et convoyages; absence d'analyses indépendantes de contamination; risques liés aux conduits d'évacuation des produits toxiques ; opacité des opérations minières et des revenus engendrés ; absence d'embauche locale...

Michèle Leclerc, présidente de l’ONG française de coopération Corens, qui intervient dans le secteur, fustige aussi l'indécence du luxueux centre commercial de Tabakoto, réservé aux ingénieurs étrangers travaillant sur la mine. Les produits vendus sont inaccessibles à la majorité de la population, qui vit avec deux dollars par jour.

Gilles Labarthe / DATAS