SUISSE
Risque nucléaire : trop gros pour être vrai ?
Selon le rapport Katanos, publié il y a 10 ans par l’Office fédéral de la protection civile, un accident dans une centrale nucléaire suisse, c’est 100'000 personnes irradiées, 900'000 personnes à évacuer et la moitié du pays durablement contaminée. Entretien avec un responsable de l’Office sur l’actualité de ces chiffres

Philippe de Rougemont / DATAS

Il est 1 heure 23 du matin, le 26 avril 1986, quand 70 tonnes de combustible radioactif sont projetées hors de la centrale nucléaire de Tchernobyl en Ukraine. Le soir, soit plus d’une quinzaine d’heures après l’explosion du réacteur, un haut responsable arrive enfin à la centrale, décide que l’incident est une catastrophe nucléaire et ordonne l’évacuation de la ville voisine de Prypiat. Les mesures s’étendent progressivement à 130 000 personnes. Pendant une journée entière, aucune mesure de protection n’est prise. Aujourd’hui, les estimations du nombre de victimes varient entre 15 employés de la centrale (selon l’AIEA), à plusieurs centaines de milliers selon des chercheurs en Biélorussie. Ce ne sont pas seulement les radiations qui ont tué, mais aussi l’absence d’information et de transparence envers la population.
Que se passerait-il en Suisse ?
En 1995, un rapport explosif, le rapport Katanos, édité par l’Officie fédéral de la protection civile, recensait les conséquences de catastrophes nucléaires en Suisse, afin de s’y préparer et d’en “ minimiser les conséquences ”. Les chiffres : un accident majeur dans une centrale suisse, avec fonte du réacteur, impliquerait l’évacuation durable de 900'000 habitants, la contamination de 100'000 d’entre eux, la contamination de la moitié du pays (20'000 km2) et des pertes évaluées à 4'200 milliards de francs. Abondamment utilisé par les antinucléaires pendant la campagne sur les initiatives “ Sortir du nucléaire ” et “ Moratoire plus ” en 2003, ce rapport a depuis été mis à jour dans le rapport fédéral Katarisk (DDPS, Berne, 2004). Ce rapport décrit ce qui se passerait, en cas d’accident, dans un voisinage dorénavant limité à 20km autour de chaque centrale (nommée “ zone 2”). Il décrit aussi la “ phase d’alerte ”, qui faisait défaut à Tchernobyl, et qui est aujourd’hui à la base de la stratégie fédérale de sécurité nucléaire : réagir au plus vite entre le premier signe de “ dérangement ” (fonctionnement anormal de la centrale) et la fuite effective de combustible radioactif dans l’environnement.
L’administration fédérale se prépare-t-elle vraiment au pire ?
La “ phase d’alerte ” est comptée en “ minutes ou en heures ”. Selon un rapport de la Commission ABC (atomique, biologique et chimique), cette phase “ est mise a profit pour préparer et mettre en oeuvre les mesures de protection ”. La Centrale nationale d’alarme CENAL ordonne des mesures d’urgence immédiates pour la population : prise de comprimés d’iode (avant l’exposition aux particules radioactives), refuge dans des caves ou des abris anti-atomiques et “ déplacement ” des habitants riverains de la centrale (3 à 5 km de rayon, soit la « zone 1 »). Bien. Mais que se passe-t-il au-delà de la “ zone 2 ”, soit à plus de 20 km de la centrale ? “ Les mesures de protection de la population durant le passage du nuage radioactif n’y sont selon toute probabilité pas nécessaires ”, affirme le rapport de la Commission ABC. Interrogé sur les chances de protéger la population habitant les zones sous le vent de la centrale accidentée, M. Bernhard Brunner, président de la Commission fédérale ABC, est très confiant “ On a pris des précautions pour développer un concept de sécurité nucléaire complet. L’accident dans une centrale se développe en plusieurs phases laissant le temps de mettre en place la protection de la population ”...
Christian van Singer, physicien et co-président du comité romand Sortir du nucléaire, doute que les catastrophes nucléaires se plient aux scénarios tracés d’avance à Berne : “ l’accident nucléaire ne se produira pas forcément comme cela arrange les auteurs du rapport. L’étendue des zones contaminées dépendra en grande partie du vent et des précipitations. Et les quelques minutes ou heures de la phase d’alerte ne suffiront pas pour prendre les mesures prévues. Sans compter que c’est pour le très long terme que de vastes territoires risquent de devenir inhabitables ”. Avec la récente demande de construction d’une nouvelle tranche nucléaire en remplacement de la vieille centrale de Mühleberg par les Forces motrices bernoises, c’est tout le débat sur le nucléaire qui est relancé.