MONDE
« Nous irons jusqu'au bout », promettent les manifestants togolais
(14/07/2012) Le collectif « Sauvons le Togo » appelle à de nouvelles manifestations pour contester le régime dynastique de la famille Gnassingbé, au pouvoir depuis 1967. Les actions de l'opposition et de la société civile tentent de s'étendre à d’autres villes du pays en s’inspirant des « printemps arabes »

François Degli / DATAS

Une foule de manifestants défilant dans les grandes artères de la capitale, réclamant des réformes démocratiques. Soudain, l’intervention des forces de l’ordre. Coups de matraques et tirs de gaz lacrymogènes, courses-poursuites, chasse à l’homme, traque des « meneurs » de la manifestation jusque dans les églises où ils s’étaient réfugiés... En deux jours, 119 blessés, dont 52 cas graves, et 54 arrestations à Lomé. Ces violentes scènes de rue se sont déroulées les 12 et 13 juin 2012. Un mois plus tard, et malgré le climat de répression et d’intimidation qui sévit sans discontinuer, le collectif « Sauvons le Togo » (CST) appelle à de nouvelles manifestations à Lomé.

« Au Togo, on ne réagit réellement que devant les démonstrations, dans la rue. En 1990, le pays n’a évolué que parce que la rue avait réagi », explique l’opposant Zeus Ajavon, coordinateur du CST. Pour les plus anciens opposants au régime militaire du clan Gnassingbé, l’histoire se répète, rappelant les manifestations qui s’étaient déroulées quelque 22 ans plus tôt : avec la fin de la guerre froide et les premières conférences démocratiques en Afrique francophone, une majorité de la population était déterminée à en finir avec le RPT-Rassemblement du peuple togolais, parti unique du général Gnassingbé Eyadéma, arrivé au pouvoir à la suite d’un coup d’Etat en 1967…

C’est maintenant un de ses fils qui est au pouvoir : le président Faure Gnassingbé a été « démocratiquement élu » après des élections contestées en 2005 et 2010. Si Faure Gnassingbé a cumulé depuis 2005 les promesses de réforme et affiché un changement dans le style, rien n’a vraiment changé au Togo sur le fond, estiment les opposants. A l’origine de ces récentes manifestations, la volonté de dénoncer la nouvelle loi sur le « découpage électoral » en prévision des législatives qui auront lieu à l’automne 2012. « Un texte taillé sur mesure » pour conforter le pouvoir en place, accuse l’opposition.

La CST veut aussi porter sur la place publique la question de la torture au Togo, pour des faits visant des hauts responsables de la sinistre ANR, l’Agence nationale de renseignement, agissant sur ordre direct de la Présidence. Ils ont commis sur des détenus des actes de torture, confirmés en février 2012 par un rapport de la Commission nationale des droits de l’homme –CNDH. « Non seulement ce rapport a été édulcoré par les autorités togolaises, effaçant les actes de torture, mais dans l’intervalle, le président de la CNDH a reçu des menaces de mort de la part de certains « conseillers » du président Faure Gnassingbé. Prudent, il a livré le vrai rapport aux journalistes et a quitté en catastrophe le pays pour Paris, où il vit aujourd’hui », témoigne un jeune franco-togolais de passage à Lomé.

Dans la capitale togolaise du bord de mer, la contestation s’est depuis élargie pour fustiger « une fois de plus » le régime dynastique des Gnassingbé, basé sur « le pillage systématique des ressources de l’Etat par un groupuscule de personnes », explique le CST (lire encadré).

Une des forces de ce CST, créé le 4 avril 2012, tient à sa large représentativité : sept organisations de défense des droits de l’homme, deux organisations de la société civile - dont SOS Journalistes en danger - et six partis et mouvements politiques. La coalition peut aussi compter sur de nombreux relais à l’étranger, en s’appuyant sur des partis politiques et sur la diaspora. Dernier exemple en date, une action le 7 juillet devant le Palais des Nations unies, à Genève. Toutefois, rien ne permet encore de prédire que ce mouvement réussira à se renforcer, voire à s’étendre ailleurs au Togo.

Selon Daniel Lawson-Drackey, ancien secrétaire général de l'Union des journalistes indépendants, « les manifestations pourraient reprendre de plus belle » après la période d’examens universitaires. Cet éditorialiste se refuse pour autant à tout pronostic sur les actions à venir. La violence policière de ces dernières semaines a déjà découragé des militants convaincus, de même que « les éternelles querelles d’ego entre leaders de l’opposition », regrette un observateur sur place.

Le CST promet de son côté d’aller « jusqu’au bout », et s’inspire de moyens qui ont servi les « printemps arabes » : informations et mobilisation relayées via Internet sur les réseaux sociaux, ou par SMS, jour après jour, heure par heure. Ce sont des photos prises avec des téléphones portables que les militants ont pu montrer brutalité de la répression, arrestations et manœuvres d’intimidation, tandis qu’étaient lancés dès le 20 juin des appels à manifester plus à l’intérieur et au nord, à Tsévié, Atakpamé, Sokodé et Kara.

Les derniers « tweets » postés font le décompte des morts : un vieillard après l’intervention policière du 21 juin à Sokodé, une mère de famille, asphyxiée par des gaz lacrymogènes tirés par la police dans sa maison à Lomé, et une jeune femme, qui vient de succomber jeudi 28 juin. Les appels à des marches nationales de contestation, tout le long du mois de juillet, sont lancés.

(encadré 1)
Trafics en tout genre dans « la Suisse de l'Afrique »
Un pays minuscule, longtemps surnommé « la Suisse de l’Afrique », enclavé entre la Ghana et le Bénin. Ses principaux atouts visibles : la production de phosphates, de cacao, céréales et coton… mais aussi un débouché maritime exceptionnel et une capitale collée à la frontière. Au fil des décennies, la famille Gnassingbé a tiré parti de cette situation géographique singulière du Togo, doté de zones franches et transformé en véritable plate-forme régionale pour l'import-export. Phénomène moins connu, la contrebande contrôlée depuis Lomé et Kara (« capitale bis » et lieu d’origine du clan au pouvoir) par des réseaux mafieux a longtemps représenté l'une des principales sources de devises cachées du régime en place. Le trafic d’armes à destination de la Côte d’Ivoire, les importations frauduleuses d’or, de diamants et de cacao impliquent de hauts responsables politiques, et leurs alliés en affaires. Ce qui pose un sérieux problème, y compris pour la Drug Enforcement Administration (DEA). Depuis décembre 2011, l'agence américaine de lutte anti-drogue a redoublé d’efforts pour tenter de faire le ménage au Togo, devenu ces dernières années une des plaques tournantes du trafic de cocaïne sud-américaine, via des réseaux libanais liés au Hezbollah et le blanchiment d’argent par l’activité d’import-export de sociétés-écran, dont Cybamar Swiss, basée près de Zurich. Dans le collimateur de la DEA, un demi-frère du président et ancien ministre de la Défense, Kpatcha Gnassingbé (arrêté et condamné pour une « tentative de coup d’Etat » en 2009). D’autres sources mentionnent qu’un autre frère, Mey Gnassingbé, est lui aussi impliqué dans ces filières de la drogue, de même que des dirigeants de l’armée togolaise et certains responsables de l’ANR.

Gilles Labarthe / DATAS