SUISSE
Deux tiers de l’or érythréen seraient affinés chez Metalor
(20/07/2012) Le nom de la célèbre société d’affinage suisse est à nouveau associé à un rapport présenté ces jours devant le Conseil de sécurité des Nations unies. Enjeu : de probables sanctions économiques visant le régime autocratique d’Afewerki

Gilles Labarthe / DATAS

Ces dernières années, le nom de l’affineur suisse Metalor était déjà apparu plusieurs fois dans les rapports de groupes d’experts présentés devant le Conseil de sécurité de l’ONU. Il a été pointé en 2005 pour des importations d’or « ensanglanté » provenant de l’est de la République démocratique du Congo (région de conflits meurtriers soumise à l'embargo), via l’Ouganda. Puis en 2006, pour des livraisons d’or provenant des zones en conflit entre différentes factions ivoiriennes. C’est dans le cadre d’un autre dossier qu’il va ressurgir ces prochains jours : l’Erythrée se retrouve actuellement à l’agenda du Conseil de sécurité.

Ce petit Etat situé dans la Corne de l’Afrique est dirigé depuis 1993 par Issaias Afewerki, un président maoïste, formé militairement en Chine dans les années 1960. Afewerki et son clan auraient instauré une véritable « Corée du Nord version africaine », selon des spécialistes. Il s’agit même d’un des pays les plus répressifs au monde, pour l’organisation Reporters sans frontières, qui dénonce l’éradication systématique des mouvements d’opposition et l’absence de presse privée.

Le régime « non aligné » d’Asmara est dans la ligne de mire de Washington, qui l’accuse de contribuer à déstabiliser la sous région, notamment en finançant et armant des mouvements rebelles dans les pays voisins. Les mêmes préoccupations sont relayées aux Nations unies par le Groupe de contrôle sur la Somalie et l'Érythrée. Ce groupe d’experts internationaux avait rendu public en juillet 2011 un rapport alarmant sur la situation. Le 5 décembre 2011, le Conseil de sécurité des Nations unies adoptait une nouvelle résolution renforçant l’embargo sur les armes et les sanctions prises contre l'Erythrée : restrictions des déplacements à l'étranger de personnes exposées, gel de leurs avoirs.

Se posait aussi la question de sanctions à imposer concernant un nouveau secteur économique devenu particulièrement lucratif : l’exploitation de l’or érythréen. Pour la première fois dans l’histoire du pays, cette exploitation a commencé à échelle industrielle, sur le site de Bisha, en janvier 2011. La production est évaluée à environ 12 tonnes par an. Sous forme de taxes et royalties, c’est une garantie de dividendes par millions pour le régime autocratique d’Afewerki.

Sur place, l’extraction est assurée par une joint-venture entre le gouvernement érythréen – connu pour son opacité dans la gestion des comptes publics – et une compagnie junior canadienne, habituée des situations à risque : la société Nevsun. Cette dernière a réussi à attirer des investisseurs privés, en remplacement d’investisseurs et d’établissements publics découragés en 2009 par les batteries de sanctions onusiennes visant l’Erythrée.

Y a-il des acteurs économiques suisses dans cette aventure ? Jusqu’ici, les experts du Groupe de contrôle n’ont encore rien voulu divulguer des résultats de leur enquête, qui a duré plusieurs mois. Leur rapport, discuté ces jours devant le Conseil de sécurité, est « toujours sous embargo », confirme une source proche du dossier. Nos propres recherches ont toutefois permis de remonter la filière : un document contractuel établi en août 2009 auprès des autorités de contrôle des marchés financiers américaines (US Securities and Exchange Commission) mentionne en toutes lettres Metalor comme partenaire de la première heure. Ce contrat précise que le raffineur suisse devient alors, avec un autre grand affineur canadien, le destinataire régulier de la production d’or issue de la mine de Bisha.

Il est plus difficile d’estimer le volume exact des importations d’or érythréen en Suisse : à Berne, ce genre d’information est classé confidentiel. Pas au Canada, où il ressort de l’étude des statistiques douanières que l’affineur outre-atlantique n’était en moyenne destinataire en 2011 que d’un tiers de la production de Bisha. Les deux tiers restants auraient donc été fondus et purifiés sur le sol helvétique – soit plus de 10 tonnes d’or, en estimation. Les autorités fédérales pourraient être amenées à communiquer sur ce dossier sensible : lorsqu’elles ont reçu la visite d’une délégation d’experts du Groupe de contrôle début 2012, elles les ont assurés de leur « entière collaboration ».

Jusqu’à présent, seules quelques lignes du prochain rapport élaboré par les experts onusiens du Groupe de contrôle sur la Somalie et l'Érythrée, qui doit être divulgué ces prochains jours, ont « fuité » auprès de Reuters. L’agence informe que l’Eyrthrée représente toujours un facteur de « déstabilisation » dans la sous région, et qu’il reste trop tôt pour envisager une levée des sanctions. Le panel recommande en urgence au Conseil de sécurité d’envisager des mesures afin de « réguler le secteur minier opaque de l’Erythrée, qui a généré des centaines de millions de dollars », et d’exiger du gouvernement d’Asmara « la publication des revenus miniers » issus de l’extraction aurifère, ainsi que « la publication des paiements par les opérateurs privés ». Ce qui inclurait Metalor, destinataire principal de cet or érythréen.

Contactée à Neuchâtel, siège financier de la société d’affinage suisse, la direction de Metalor ne nous a pas encore donné de réponse sur ce cas, ni de précisions sur les conditions de travail sur le site de Bisha : les témoignages de réfugiés érythréens évoquent les rafles militaires organisées par le régime d’Asmara pour recruter des soldats, mais aussi fournir une partie de la main d’œuvre à la première mine d’or industrielle du pays. Un pays sous la coupe du régime Afewerki. En Erythrée, un cinquième de la population a préféré l’exil – les Erythréens ayant réussi à fuir arrivent en tête des statistiques des requérants d’asile en Suisse.