REPORTAGE
Sénégal: les laissés-pour-compte de la ruée vers l'or
(07/03/2009) Riche en or, l’est du Sénégal suscite la convoitise de plusieurs opérateurs miniers qui rechignent à tenir leurs engagements sociaux. C’est ce que voulait dénoncer le 23 décembre 2008 une manifestation d’étudiants, qui a tourné à l’émeute. Bilan : un mort, plusieurs blessés graves, de lourdes condamnations… Le calme semble aujourd’hui revenu à Kédougou, mais le pire reste peut-être à venir : la pollution à long terme par des toxiques persistants liés à l’industrie extractive

Gilles Labarthe / DATAS

Depuis Dakar, il faut au minimum dix heures sur une route défoncée - la Nationale 1 - pour rejoindre Tambacounda, principale ville du Sénégal oriental. Depuis là, trois heures et demies de route supplémentaires sur la N7, aussi surnommée « la route de l’or » : c’est en effet elle qui donne accès à la région de Kédougou, située à plusieurs centaines de kilomètres de la capitale.

Entassés comme des sardines dans un « sept-places » (une vieille Peugeot ressuscitée pour fonctionner comme taxi-brousse sénégalais), on longe le fameux Parc national du Niokolo-Koba. « Prudence, animaux sauvages », avertissent quelques panneaux. Hormis de jolis oiseaux bleus, quelques enseignes de relais safaris visibles depuis le bord de la route et un groupe de jeunes rastas espagnols campant à proximité de leur fourgonnette blanche, rien à signaler.

La météo nous promet aujourd’hui un pic de 38 degrés. Il est bientôt midi. On avale la poussière et les derniers kilomètres en écoutant un cassette : Billie Jean, un vieux tube sorti de l’album « Thriller » de Michael Jackson, que notre chauffeur semble affectionner.

Arrivée à Kédougou. Ce chef-lieu a connu un hiver tourmenté. Fin décembre 2008, une manifestation d’étudiants protestant contre les promesses non tenues des compagnies minières opérant dans la région a viré à l’émeute. Un mort par balle, plusieurs blessés graves, des véhicules et bâtiments officiels en feu, une vague d’arrestations, des tortures et des condamnations lourdes début janvier : entre 5 et 10 ans de prison pour les supposés meneurs. Un jugement hâtif contre des jeunes - certains ayant à peine vingt ans - qui a suscité un tollé parmi la population locale. « Ce sont nos enfants, nous allons tout entreprendre pour demander une grâce, les sortir de là », promet une responsable politique à Kédougou.

La mobilisation a été très forte ces derniers mois, avec aussi des manifestations des ressortissants kédovins et de sympathisants à Barcelone, à Paris… Le sort de la vingtaine de jeunes détenus à la prison de Tambacounda est suspendu à la décision de la Cour d’appel, qui doit maintenant tomber d’une heure à l’autre. En attendant, le président Abdoulaye Wade vient de faire part de sa décision d’instruire le Garde des sceaux afin que le Procureur de la République mette fin à l’action de l’Etat contre les jeunes gens arrêtés à l’issue des troubles de Kédougou, le 23 décembre dernier.

Ces événements, passés inaperçus dans la presse occidentale, ont fait couler beaucoup d’encre au Sénégal : lors d’une visite à Kédougou, Amath Dansokho, ancien maire de Kédougou et remuant leader du Parti de l’indépendance et du travail (Pit), a même directement accusé le régime du président Wade. Selon lui, la mort par balle du jeune Sina Sidibé lors des émeutes aurait été «un crime calculé et planifié» par les autorités pour que les populations de Kédougou ne lorgnent plus les richesses qui se trouvent du côté de Sabodala. De quoi raviver la polémique.

Mais aujourd’hui, le calme est revenu à Kédougou, où l’armée avait dans un premier temps renforcé sa présence. « La situation s’est détendue à la veille des élections régionales, mais il y a encore beaucoup de policiers en civil qui effectuent des contrôles », note un observateur. Si les récents événements demeurent un fait exceptionnel dans le quotidien de ce bout de terre coincé à la frontière du Mali et de la Guinée, le mécontentement populaire que génère l’activité minière n’est pas nouveau. Plusieurs marches et manifestations se sont succédé depuis quelques années dans la zone comprise en Kédougou et Sabodala, plus au nord, pour protester contre l’absence de retombées financières sur l’économie locale.

Constructions de routes, d’infrastructures, appui aux communautés, emploi dans le secteur minier… bien peu d’engagements ont été tenus par la dizaine de sociétés actives depuis plus de quinze ans dans la prospection de l’or au Sénégal oriental.

L’attente est encore plus grande pour la seule société ayant démarré les activités d’extraction l’an dernier : Sabodala Gold Operating (SGO), filiale de l’Australienne Mineral Deposit Limited – MDL, détentrice de la concession minière. Une mine à ciel ouvert pouvant évoluer en mine souterraine, dont certains membres de la famille Wade seraient actionnaires.

La nouvelle usine de traitement de MDL entrera en fonction le 15 mars 2009. « Ce joyau produira en moyenne 6 tonnes d’or métal par an. Même les environnementalistes les plus sceptiques se diront rassurés quant à l’utilisation du cyanure dans la production de l’or, dans la mesure où le mode opératoire est maîtrisé avec la construction de tanks devant contenir ce produit ultra toxique. Le projet, de l’avis du directeur des mines et de la géologie, génèrera 650 emplois directs », se réjouit un organe de presse national.

Mais de quel développement parle-t-on ? La route Kédougou-Binbou-Khossanto, menant à la mine d’or et au village de Sabodala, n’est toujours pas construite. Depuis août 2008, le chantier est resté au point mort. La majeure partie des poids lourds qui circulent sur la piste de latérite, soulevant de longs nuages de poussière rouge, sont des camions-citernes Shell destinés à ravitailler le site aurifère en carburant.

« MDL avait promis d’embaucher des jeunes de la région. Comme beaucoup d’autres, je n’ai obtenu qu’un contrat de trois mois, qui n’a pas été renouvelé, se plaint un habitant aux alentours de Sabodala. Certains jeunes sont employés une semaine, puis mis en congé pendant des mois, alors que les postes sont confiés à des étrangers ou à des personnes qui viennent de la ville, de Tambacounda ou de Dakar ».

Enfin, la question de l’impact environnemental concernant l’ensemble des sociétés aurifères travaillant dans la zone Khossanto -Sabodala – une des plus riches de l’Afrique de l’Ouest, toutes proportions gardées - semble n’avoir jamais fait l’objet d’études très poussées. En été dernier, période de l’hivernage (saison des pluies), il m’a suffi de prélever six échantillons d’eau et de sédiments aux abords ou en aval de concessions minières opérant à Sabodala, puis de les faire analyser par un laboratoire genevois (voir ci-contre) pour en trouver deux qui font exploser les normes sanitaires de l’OMS : teneurs en arsenic, chrome, manganèse, nickel et plomb dix, quatorze, voire soixante fois supérieures à la moyenne admise.


« Des consignes, mais pas d’information »
« Avant, il y a une quinzaine d’années, il n’y avait pas tous ces produits toxiques dans la région », témoigne Samba*, un ancien employé de la société MDL, la seule compagnie qui extrait officiellement de l’or actuellement à Sabodala. Pour faire son travail, l’industrie extractive a recours à une gamme de produits toxiques encore plus diversifiée. « Il y a peu, MDL voulait même les faire déménager les habitants du village parce que ses responsables craignaient qu'après quelques mois d'activité, les produits toxiques utilisés se mélangent avec les cours d'eau aux alentours », se rappelle le jeune homme. Il s'étonne aussi que la direction de cette même compagnie, qui prend des sanctions très sévères contre les employés ne respectant pas les consignes de sécurité, ne les tiennent jamais informés quant à la nature des produits toxiques manipulés sur le site : « On nous dit juste que les produits sont dangereux, et qu'il faut se protéger en portant des gants et des masques. C'est tout ».
« Pour extraire les minerais au rythme voulu par les marchés, les multinationales de l'industrie extractive ne lésinent pas sur les méthodes d'extraction polluantes avec des produits hautement toxiques comme le mercure, l'arsenic ou le cyanure », avertit en Belgique la spécialiste de l’environnement Antoinette Brouyaux. Le même scénario est à l’œuvre à l’est du Sénégal.
A ces risques de pollution, qui peuvent être mortels en cas d’accident ou de déversement incontrôlé, s’ajoutent divers acides utilisés pour nettoyer le minerai aurifère, et quantités de décombres : tout le minerai stérile excavé et rejeté par dizaine, centaines, milliers de tonnes, contenant des métaux lourds tels que cuivre, cadmium, mercure… « annihilant toute forme de vie dans le cours d’eau qui ne peut plus être utilisé pour l'eau potable ou la pêche », prévient encore la spécialiste.
L’industrie extractive est le premier acteur de ce grand chambardement qui vient libérer des gaz carboniques et remettre à la surface quantité de métaux lourds et de toxiques persistants qui étaient jusque-là enfouis dans les profondeurs du sous-sol. Comment mener un travail de prévention, et mesurer l’étendue des risques encourus ?
Un premier prélèvement d’échantillons effectué lors de mon premier séjour à Sabodala en août 2008 sur un endroit précis à proximité d’une concession minière (« c’est là qu’il rejettent leurs produits », avait confirmé un observateur local) avait révélé, après analyse, un sérieux problème de dépassement des normes de l’OMS. L’analyse d’une seconde série d’échantillons de sédiments, prélevés il y a deux semaines aux mêmes endroits, confirme un net dépassement des seuils d’arsenic et de chrome tolérés au niveau international : la teneur en arsenic est ainsi supérieure à la valeur cible des directives canadiennes de 1999 en matière de respect de la santé ; comparée aux normes suisses, la teneur en chrome, presque trois fois supérieure à l’Ordonnance sur les atteintes portées au sols (juillet 1998).
« En cas de dépassement de ces valeurs, les services concernés doivent mener un travail d’investigation », remarque à Genève Thierry Dufossé. Une investigation scientifique, ciblée et des mesures comparatives en plusieurs endroits devraient finalement permettre de remonter par recoupements à la source des vrais responsables de ces rejets toxiques, et de les mettre à l’amende pour enfreinte des normes environnementales.
De telles investigations pourraient aussi être effectuées sur les sites d’orpaillage : aux alentours du village de Mama Kono, les résultats d’analyse affichent un taux de mercure de 4,8 mg/kg – ce qui est plus de dix fois supérieur au seuil d’investigation suisse. Utilisé sur place par des acheteurs pour amalgamer et récupérer l’or, mais aussi par une partie des dizaines de milliers d’orpailleurs qui triment dans des mines artisanales entre Kédougou et Sabodala, sa présence dans l’eau et dans les sols, contaminant toute la chaîne alimentaire, peut aussi expliquer des maladies, troubles, paralysies ou décès mystérieux qui ont déjà été constatés dans la région.

*prénom fictif

Gilles Labarthe / DATAS

INTERVIEW
Des techniques d’analyse au service de l’environnement
Thierry Dufossé, responsable du secteur techniques analytiques au laboratoire genevois Glycan Lab, a une longue expérience des risques de pollution à large échelle liés à l’activité humaine. Il nous rappelle les bases de son métier.

(DATAS) Comment procède-t-on pour déterminer qu’une terre ou une source d’eau ont été contaminés par les rejets toxiques d’une industrie ?
- Avec un plan d'échantillonnage adapté aux rejets, on peut mettre en évidence une pollution. Il suffit de comparer les résultats obtenus entre eux. On pourra les comparer aux limites imposées à un rejet (par un texte réglementaire) mais aussi à des références que l'on trouvera dans les diverses publications scientifiques ou autres existantes (réglementaires, normes de l’OMS, des ministères de l’Environnement, de divers organismes comme l’INERIS, le BRGM, etc.). On pourra aussi les comparer à ceux obtenus avec un prélèvement "témoin", c’est-à-dire un prélèvement effectué hors de la zone de pollution: en amont d'un rivière, à l’abri du vent dominant dans les cas de pollution atmosphérique, dans une zone visiblement non souillée par la pollution dans un cas d'épandage, par exemple. Grâce à cette enquête préliminaire, on pourra donner l'alerte. Il restera à réaliser une enquête approfondie du lieu, suivie d'une dépollution.

A quoi faut-il être attentif lors des prélèvements d’échantillons ?
- Le contenant (ou récipient renfermant l’échantillon à analyser) ne doit pas interférer avec le polluant recherché. Il faut un verre hermétique pour polluant organique, un flacon en plastique pour un polluant minéral. Il s’agira aussi de se protéger : s'il y a pollution, il y a risque de contamination, y compris de celui qui opère les prélèvements. Il faudra porter des gants, masques, combinaisons spéciales ou surchaussures, etc. , selon les cas. Il faut aussi référencer les prélèvements, noter les dates et heures exactes, les signer, établir un plan avec localisation des prélèvements, faire des photos éventuellement… enfin, les conserver de façon adéquate.

Quels types d’analyses sont les plus révélateurs en matière de rejets toxiques ?
- Un nombre important d'analyses existe. Elles vont des paramètres généraux (pH, matières en suspension, demande chimique en oxygène, etc.), à la recherche de pesticides, dioxines, PCB (polychlorobiphényles ou pyralènes, molécules complexes utilisées par l’industrie et classées dans les polluants organiques persistants), jusqu’aux recherches de pollutions minérales par les métaux lourds notamment. Il faut cibler la recherche en fonction de l'activité polluante suspectée, ou bien faire des "screenings", des recherches multi-polluants.

Quels sont les traces de produits toxiques qui vous alertent le plus ?
- Tout d’abord, les métaux lourds, parce qu'ils persistent dans l'environnement et sont accumulés tout au long de la chaîne alimentaire, pour finir chez l'homme. Ensuite, les pesticides: on les utilise partout dans le monde de façon massive et non contrôlée depuis longtemps, et je pense à nos enfants... Enfin, les dioxines : elles sont émises par nos incinérateurs d'ordures ménagères et présentent des effets cancérigènes pour l'homme.

Avant d’être nommé responsable chez Glycan Lab à Genève, vous avez occupé diverses fonctions, comme dans la gendarmerie française, notamment dans la criminologie et l’identification d’industries responsables d’émanation toxiques. Quelle est l’affaire qui vous a le plus marqué ?
- Plusieurs, mais bien évidemment je ne peux en parler en raison du secret professionnel, voire du secret de l'instruction. Je peux seulement évoquer deux cas de pollutions majeures : un enfouissement dans un ancienne mine de déchets de terres hyper polluées, et une pollution par voie aérienne et par rejets liquides d'une usine de retraitement de batteries automobiles…

Propos recueillis par
Gilles Labarthe / DATAS