SOCIÉTÉ
ONU: un rafraîchissement de salle à 18,5 millions d'euros
(Genève, 19/11/2008) Ambiance sélect et mondaine pour l’inauguration officielle hier matin à Genève de la nouvelle salle XX du Conseil des droits de l'Homme de l'ONU, fraîchement rénovée et décorée par l'artiste espagnol Miquel Barcelo

Gilles Labarthe / DATAS

Ballet de limousines noires, sécurité renforcée, tapis rouge, grands crus et petits fours : c’était l’ambiance des beaux jours hier au Palais des Nations à Genève pour l’inauguration officielle de la nouvelle salle XX du Conseil des droits de l'Homme de l'ONU, fraîchement rénovée et décorée par l'artiste Miquel Barcelo. Parmi les conférenciers présents : Sa Majesté le roi d’Espagne Juan Carlos et la reine Sofia, le président du gouvernement espagnol José Luis Rodriguez Zapatero, le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon, le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, sans oublier le président de la Confédération, Pascal Couchepin.

Point d’orgue de la célébration, qui se voulait aussi un hommage au 60ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme : la découverte de la grande voûte de stalactites multicolores élaborée par l’artiste contemporain espagnol pour agrémenter le dôme ellipsoïdal de 1500 mètres carrés. 35 tonnes de peinture auraient été nécessaires à sa réalisation – 100 000 kilos, précise ONUART, fondation sans but lucratif espagnole réunissant des fonds publics et privés (industrie pétrolière, grandes banques) qui est à la base du financement de l’œuvre d’art, « la plus importante et la plus vaste conduite sous l’histoire des Nations unies ».

ONUART vante « une prouesse technique ». Difficile d’admirer la chose : seuls 700 invités, triés sur le volet, ont eu le privilège d’entrer dans la salle ce matin-là. Refoulés devant le seuil, plusieurs journalistes accrédités – dont un Espagnol – passent en revue les aspects critiquables du travail de Miquel Barcelo et de son équipe, commencé en avril 2007.

Le coût, d’abord : 18,5 millions d'euros pour une rénovation de salle… la facture est lourde pour cette réalisation, que certains qualifient poliment de « grotte », d’autres de « chapelle Sixtine de l’ONU ». L’origine des fonds, ensuite : outre le financement par ONUART, le gouvernement espagnol a participé à hauteur de 40 %. Soit 8 millions d’euros prélevés sur budget du ministère des Affaires étrangères et da la Coopération, dont 500 000 euros ponctionnés sur l’enveloppe de l’aide au développement. Les milieux politiques, mais aussi la presse espagnole, crient déjà au scandale.

« Le problème est qu’il y a une crise financière en ce moment, aussi en Espagne », admet à l’entrée une fonctionnaire. A l’intérieur de la salle XX, un responsable des travaux contemple le plafond d’un air dubitatif. Que lui inspire toute cette peinture ? Haussement d’épaules : « C’est une question de goût, on aime ou on n’aime pas ». Quelques minutes plus tard, entrée des délégations d’officiels et, sous bonne escorte, de Pascal Couchepin. « Superbe », lâche d’emblée le président de la Confédération, avant d’évoquer à la tribune un « cadeau extraordinaire » offert par l’Espagne au Palais des Nations à Genève.

D’autres jugent la décoration de plafond menaçante: 100 tonnes de peinture et de stalactites suspendues au-dessus des têtes de rapporteurs chargés de rappeler les (mauvaises) conditions des droits de l’Homme dans le monde, ça fait un peu « épée de Damoclès ». Assis aux emplacements réservés aux représentants des ONG, Sébastien Gillioz, de l’organisation Human Rights Watch, estime que le point le plus positif reste la rénovation des infrastructures, pour que la salle onusienne réservée à un sujet aussi crucial soit désormais « pleinement fonctionnelle ». Il y a en effet urgence : plusieurs ONG ont ainsi réclamé une réunion de négociation au plus vite sous ce même dôme pour évoquer la situation actuelle dramatique à l’est de la République démocratique du Congo.