ECONOMIE
Comment Chavez veut mettre le pétrole au service de la révolution
Surfant sur le renchérissement du baril de brut, le président du Venezuela veut doper la production et multiplier les accords bilatéraux Sud-Sud pour assurer "la renaissance de l'Amérique latine". Hugo Chavez a du pétrole et des idées. La population, elle, attend du concret

Gilles Labarthe / DATAS

(Paris, 07/03/2005) Augmenter la production de brut du Venezuela avec l'aide de la multinationale française Total. Développer les échanges économiques, énergétiques et militaires avec l'Uruguay, le Brésil et l'Argentine. Créer une télévision 100% latino afin de contrer CNN. Mettre en place un Fonds sud-américain du développement pour se dégager de la tutelle du FMI et de la Banque mondiale... Charismatique en diable, le président Hugo Chavez a profité de son bref séjour à Paris, après une série de visites commencées le 1er mars en Uruguay, en Inde et au Qatar, pour exposer ses grands projets. Des chantiers qui devraient permettre «la renaissance des peuples de l'Amérique du Sud, fatigués par les échecs du néolibéralisme et indignés par l'occupation américaine en Irak», résume le leader bolivarien. Au centre de sa stratégie: une utilisation constructive du pétrole, dont le Venezuela est le 5e exportateur de la planète, et le développement des échanges Sud-Sud.

Crayon en main, Chavez prend des notes tout en parlant, pour améliorer encore son discours. Il plaisante, raconte des anecdotes, tutoie son auditoire. Bon professeur, il répond à toutes les questions. Puis il se lève, pour caresser du bout de la baguette une carte du Venezuela, entourer d'un geste affectueux les pays d'Amérique latine qui pourraient torpiller la Zone de libre échange des Amériques (Área de Libre Comercio de las Américas, ALCA), qui devait pourtant entrer en vigueur le 1er janvier 2005. «Quel libre échange? Je vous le demande. On ne peut pas trouver plus inéquitable, plus néo-colonialiste pour les pays d'Amérique du Sud, plus favorable aux multinationales des Etats-Unis. Avant même d'être née, l'ALCA est morte. Tout le monde en parle, personne n'en veut. Ce que je propose, moi, c'est une ALBA: Alternative bolivarienne pour l'Amérique latine».
Utopie? L'idée de Chavez, avancée il y a 4 ans, fait son chemin. Elle vient même d'être renforcée par l'investiture, le 1er mars, du socialiste Tabaré Vazquez à la tête de l'Uruguay. Les présidents argentin, Nestor Kirchner, brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, étaient aussi présents à Montevideo pour cet événement. Ils ont parlé de renforcer l'intégration régionale des pays d'Amérique du Sud, désormais gouvernés en majorité par des dirigeants de gauche. Trois réunions ministérielles sont déjà programmées pour les 30 prochains jours, plus un sommet entre Amérique du Sud et pays arabes, prévu en mai.

Pour l'heure, Hugo Chavez multiplie les démarches bilatérales. «Nous avons signé des accords de coopération avec l'Inde. Ils concernent les biotechnologies, l'énergie, les transports, la santé, l'agriculture. Nous allons doter l'Amérique latine de sa propre chaîne satellite, TV Sur». Certains observateurs se demandent si le modèle de cette chaîne ne sera pas inspiré d'Al-Jazira. Son passage par le Qatar, autre pays membre de l'OPEP, coïncidait aussi avec un forum pour la promotion des investissements au Venezuela.
Et les raisons de son séjour en France? «Les Sud-Américains ont apprécié la position du président Jacques Chirac sur la guerre en Irak. Sa proposition de taxation des transactions financières, exprimée au Forum de Davos, nous intéresse aussi. Un fonds humanitaire mondial pourrait être alimenté par ces taxes». La délégation du Venezuela repartira aussi avec des résultats concrets: «Nous avons établi un arrangement avec la firme Total, une des plus importantes du monde, pour augmenter la production de pétrole au Venezuela», poursuit Chavez, qui pointe sur la carte les grandes infrastructures à construire.

Justement, qu'en est-il du prix du pétrole? «Il était d'environ 30 dollars dans les années 70-80. En 25 ans, le prix de la plupart des produits et services a été multiplié par 10 ou 20. Aujourd'hui, un baril vaudrait donc 300 dollars...», ironise le président, avant de confirmer que «le monde peut dire adieu au pétrole pas cher». Le baril devrait, selon lui, se stabiliser entre 40 et 50 dollars. Cet or noir, manne providentielle pour le gouvernement de Caracas, mais aussi arme stratégique (les USA importent plus de 85% du pétrole vénézuélien), semble parfois brûler les doigts du leader bolivarien. Sa politique agace la Maison-Blanche. «Si on m'assassine, vous savez où chercher le responsable: à Washington», prévient Chavez, qui défie les USA de «mener une nouvelle guerre pour le pétrole».
Le mécontentement et l'impatience persistent également dans son pays, comptant près de deux tiers de pauvres malgré une «croissance économique» remarquable en 2004. Interrogé par une compatriote sur le rythme effréné de ses visites à l'étranger, sur la récente dévaluation (10,7%), et sur l'opportunité de se lancer dans une ambitieuse politique de «grands travaux» (entre autres, investir 40 milliards de dollars pour s'approcher des 5 millions de barils par jour), Chavez répond, piqué au vif: «Des critiques, des critiques... c'est tout ce que vous avez, comme questions?»