ECONOMIE
Marché du textile : un cache-sexe Nike en coton bio
(16/10/2008) Alors que la plate-forme internationale Organic Exchange se réunit au Portugal, des cultivateurs américains dénoncent les incohérences de Nike sur le marché peu transparent du coton bio

Gilles Labarthe / DATAS

C’est dans les salles de conférences du très luxueux Porto Palacio Congress Hotel and Spa que se déroule jusqu'au 17 octobre 2008 au Portugal une réunion internationale entièrement consacrée à la promotion du coton bio. L’initiateur de ce sommet : Organic Exchange, plate-forme internationale dédiée à la promotion de l’agriculture biologique et plus particulièrement, du coton fibre produit sans intrants toxiques ni pesticides, ravageurs pour l’environnement.
En moins de dix ans, ce nouveau marché a en effet connu un essor spectaculaire, se félicitent les organisateurs. Notamment, en raison des approvisionnements massifs d’équipementiers sportifs (comme Nike), de leaders américains de la confection (Patagonia) ou de la distribution (Sam’s Club/Wal-Mart)… Des acteurs européens (la société allemande Otto) et suisses (Coop) sont aussi de la partie.
« La demande en produits issus du coton bio a explosé, passant de 24 millions de dollars en 2001 à plus de 580 millions à la fin 2005, et un marché estimé à 2,6 milliards pour 2008 », explique l’organisation de coopération inter-églises néerlandaise ICCO, qui a développé plusieurs programmes de promotion du coton biologique dans les pays du Sud, comme par exemple au Burkina Faso en collaboration avec la DDC - coopération suisse.
Essuyant une pluie de critiques en 1996 en raison des conditions d’exploitations indignes dans ses usines de sous-traitance en Asie, le géant Nike avait promis dès 1997 de tout faire pour privilégier l’approvisionnement en coton bio. Objectif déclaré : l’introduire à hauteur de 5,8 % dans la confection de ses T-shirts et autres articles à l’horizon 2002. Une louable intention, qui a contribué à améliorer l’image de l’entreprise. Elle a aussi réjoui les petits producteurs états-uniens de coton bio : Heidi Holt, directeur environnemental de Nike pour la diviion approvisionnement, avait aussi promis d’établir une « relation soutenue » avec ces derniers.
Nike représente le principal sponsor fondateur d’Organic Exchange - « organisation caritative », selon ses statuts (1). La multinationale serait aussi le principal acheteur de coton bio « made in USA », et le meilleur client du coton bio produit par la famille Peppers et par la Texas Organic Cotton Marketing Cooperative (TOCMC, premier fournisseur national avec une superficie de plus de 40'000 km carrés). Mais beaucoup de cultivateurs déchantent.
Dix ans après ses déclarations tonitruantes, Nike peine toujours à franchir le cap des 3% de coton bio dans ses produits textiles. Son engagement, comme celui de Patagonia envers les producteurs locaux, reste aléatoire : pour bien des petits exploitants, comme en Californie, l’achat n’est pas garanti. « Nous avons vraiment dû les supplier à genoux d’acheter notre récolte cette année », se plaignent les Sanders. « Nike achète beaucoup en Chine », explique à San Francisco Lynda Grose, de l’organisation Sustainable Cotton Project.
De fait, Nike et Patagonia se fournissent en coton bio essentiellement près de leurs usines de confection, c’est-à-dire… en Asie. Problème : il n’y a que peu, voire pas d’informations sur les conditions réelles de production dans ces contrées lointaines. Les filières d’approvisionnement en coton bio, ainsi que les quantités importées, restent protégées par le secret des affaires. Pire : les achats de coton OGM de Nike en Chine, Inde, Afrique du Sud ou aux Etats-Unis seraient bien supérieurs à ceux de coton bio, estiment des experts.
Faute d’information accessible, comment estimer valablement l’engagement réel de Nike auprès de ses fournisseurs, s’interroge en Belgique le spécialiste Stéphane Parmentier ? (2).
Questionné à plusieurs reprises à son siège aux Pays-Bas et en Suisse au sujet de l’origine de son coton bio et sur la traçabilité de ses produits, Nike ne nous a fourni aucune réponse. La firme suisse Paul Reinhart AG, qui se présente comme l’un des plus importants fournisseurs sur le marché du coton bio, non plus.
Chez les environnementalistes, on se demande enfin quels sont les risques de contamination affectant le coton bio « made in USA » : selon une estimation du Département américain de l’agriculture, plus de 70 % des surfaces de coton cultivées aux Etats-Unis font appel à des variétés génétiquement modifiées (Roundup Ready et Bt, du géant Monsanto). Défendre la qualité de produits labellisés « bio » au milieu d’un tel champ industriel de cultures OGM semble peu cohérent, dans ces conditions. La même remarque vaut pour l’Inde et la Chine, principaux partenaires commerciaux de Nike : si ces deux pays se sont officiellement hissés en quelques années parmi les plus importants pays producteurs de coton certifié « bio », avec la Turquie ou le Pakistan, ils sont aussi devenus des champions de la culture à grande échelle des variétés de fibres OGM.

(1) Site : http://www.organicexchange.org/intro.php
(2) Auteur d’une étude sur les ravages provoqués par la culture extensive du coton : « Coton. Des vies sur le fil», par Stéphane Parmentier et Olivier Bailly, décembre 2005, Oxfam Belgique / Made in Dignity