ANALYSE
Cherche sponsors pour Euro 2012, marque déposée
(Genève, 30/06/2008) « UEFA cherche sponsors dans la catégorie bière et automobile pour l’Euro 2012 » : les appels d’offre fusent déjà en tous sens pour le prochain championnat, et les financements de l’Union européenne seront de la partie. Mais qui contrôle les revenus du foot professionnel, contrats mirobolants avec les équipementiers, droits de marketing, droits de retransmission TV ? La Fédération européenne de football, association sans but lucratif créée en 1954 avec un siège principal à Nyon. Elle gère un chiffre d’affaires dépassant le milliard d’euros par an

Gilles Labarthe / DATAS

« Parler aux dirigeants de l’UEFA ? Impossible, ils sont en déplacement en Pologne et en Ukraine, pour la préparation de l’Euro 2012 ». Le championnat 2008 est à peine terminée que la Fédération européenne de football se concentre déjà de nouveaux terrains de jeu. Pour les deux pays hôtes de la prochaine compétition qui se déroulera dans quatre ans, le chantier est dantesque : plus de 46 milliards d’euros seront engagés dans les travaux.

Près de 7 milliards d’euros seront nécessaires pour la seule ville de Kiev. Les cinq autres localités ukrainiennes choisies « devront désormais disposer de stades, d'aéroports, d'hôtels, de routes et d'autres infrastructures répondant aux critères de l'Euro. Les coûts sont évalués à 20 milliards d'euros », commente sur place le journaliste ukrainien Youri Silvestrov.

Il en faudrait davantage encore pour la Pologne, où certains observateurs s’inquiètent déjà du retard sur le calendrier. Zyta Gilowska, vice-premier ministre et ministre des finances, rassurait les esprits en déclarant encore récemment que son pays avait « les moyens » d’organiser le prochain championnat européen. La construction de stades (au moins 40 millions d’euros l’unité) et la modernisation des infrastructures génère d’importants contrats pour diverses entreprises européennes du secteur BTP (bâtiment et travaux publics). Au total, « les 26 milliards d'euros nécessaires bénéficieront pour une grande part de fonds de l'Union européenne » expliquent les organisateurs du futur événement.

Un tel engagement financier de l’UE pour assurer le succès de l’Euro 2012 est un réel soulagement pour les dirigeants de l’UEFA : il y a peu, les relations étaient à couteaux tirés. En cause : la volonté de Bruxelles, dès la fin des années 1990, de s’immiscer dans « la gestion des affaires » du foot européen, au nom du respect du droit communautaire .

Comme l’explique l’administrateur français Colin Miège, secrétaire général de l’Ecole nationale d’Administration (ENA), des manifestations sportives d’une telle ampleur constituent aussi une « activité économique » devant être régulée par l’UE. Cette idée a provoqué un vent de panique à la FIFA de Joseph Blatter et chez la Fédération européenne de football. L’association sans but lucratif établie à Nyon, qui réalise un chiffre d’affaires dépassant le milliard d’euros par an, voyait surtout d’un mauvais œil que l’on remettre en cause, notamment, sa principale source de revenus : les droits de retransmission TV.

FIFA et UEFA ont défendu à Bruxelles « la notion d’exception sportive ». Un prétexte malvenu, souligne Colin Miège : elles cherchent à « s’affranchir des contraintes du droit communautaire dans la gestion de ses affaires », mais dans le même temps, se sont engagées d’elles-mêmes dans une logique du marché pour en tirer profit. Et quel profit : en une génération, les droits de retransmission TV de l’Euro ont explosé, jusqu’à représenter aujourd’hui des sommes 100 fois supérieures aux maigres 6,9 millions en 1988. Ils avaient rapporté 28,3 millions en 1992, 80 millions en 1996, 140 millions lors de l'Euro 2000… 800 millions sont attendus pour l’Euro 2008, confirme le siège de l’organisation à Nyon (lire ci-dessous).

« La marchandisation du football professionnel n’est pas le fruit du hasard. Elle a été rendue possible parce que ses promoteurs en ont décidé ainsi et qu’ils se sont donné les moyens d’y parvenir. Ils ont créé et développé un véritable « marché » du spectacle sportif ». Ces « bonnes affaires » mûrissent et prospèrent fréquemment en Suisse, où des banques faussement austères, des fiduciaires rassurantes et dévouées, ainsi qu’un fisc compréhensif aux ambitions non confiscatoires, constituent le régie idéal à leur croissance et leur épanouissement ». Dans leur enquête La face cachée du Foot Business, Jérome Jessel et Patrick Mendelewitsch traitent l’UEFA de vrai « fromage suisse riche en matière grasse ». Un milieu « débordé par l’affairisme ambiant », et qui échappe trop souvent aux régulations internationales en vigueur.

La FIFA s’est d’ailleurs fait pincer l’an dernier dans une partie de bluff menée aux dépens de ses sponsors (lire ci-contre). « L’UEFA, c’est une sorte de « FIFA européenne » avec moins de complots et d’intrigues de couloirs et davantage de rigueur financière », tempère Jérome Jessel. N’empêche : quel organisme de surveillance se charge de les encadrer ? Beaucoup de questions restent en suspens sur le contrôle les revenus du foot professionnel, les contrats mirobolants avec les équipementiers, les droits de marketing.

En attendant, « pas touche » à la principale manne financière des compétitions internationales de football : à force de lobbying, la « spécificité du sport », concept galvaudé, a fini par s’imposer. La Commission européenne a publié divers documents de travail relevant les fonctions éducative, sociale, culturelle, de santé publique et ludique du sport, football compris. Elle a aussi insisté sur son rôle de « ferment de l’identité et de trait d’union entre les peuples ». Elle a enfin accordé en 2001 une exemption particulière concernant… les règles de radiodiffusion des matches internationaux de l’UEFA, précisément, qui génèrent 65 % des recettes de l’organisation.

Depuis, la relation semble au beau fixe entre Bruxelles et la fédération sportive du ballon rond. Pour justifier sa participation active au financement de l’Euro, la Commission européenne, évoque depuis peu « l'histoire commune de la construction européenne et du football » (lire encadré). Aujourd’hui, la préparation active de l’Euro 2012 (marque déposée), à coup de centaines de millions d’euros, vient confirmer qu’il s’agit d’une belle histoire. Pleine d’avenir.


(encadré 1 )
Coup de bluff à la carte
Une des plus belles affaires révélant l’opacité des contrats mirobolants conclus avec des partenaires commerciaux lors de championnats internationaux de football s’est terminée en décembre 2006 devant les tribunaux de l’United States Ditrict Court, à New York. MasterCard, unique partenaire depuis 16 ans de la FIFA dans le secteur produits financiers, s’était fait rouler dans la farine par les négociateurs de la fédération de football : reniant leurs engagements, ils avaient entre-temps approché son concurrent VISA pour lui faire comprendre que « si son offre en cash était augmentée de 30 millions de dollars », elle deviendrait le nouveau partenaire. Ce cas donne une idée approximative des sommes en jeu. Elle donne aussi le ton : pour les soins de l’enquête, des e-mails de la FIFA avaient été relevés. Dont celui-ci, émanant d’un responsable de la Fédération inquiet des conséquences de ce deal qui avait mal tourné « Comment la FIFA peut-elle rendre ce putain de merdier plus présentable ? ».
La même année paraissait une étude indépendante sur le sport européen initiée par la présidence britannique de l'Union européenne, et menée par M. José Luis Arnaut, ancien vice-premier ministre portugais. Une étude qui a « surgi comme une nécessité, au vu des trop nombreux scandales qui ont éclaté », explique José Luis Arnaut, qui rappelle que « le sport européen est une activité économique, qui représente 3,65 % du PIB » de l’UE, pour un chiffre d’affaires de 407 milliards d'euros en 2004.
« Le sport brasse des millions d'euros. C'est là que les autorités sportives, et surtout les gouvernements, doivent intervenir ». Parmi les plus gros scandales : transferts de joueurs permettant le blanchiment d’argent, monopoles sur les paris sportifs, sociétés de paris en ligne, domiciliées dans des paradis fiscaux, matchs truqués… « L'UEFA devrait adopter de nouvelles règles au mois de janvier 2007, faute de quoi l'Union européenne ne pourra pas la reconnaître comme interlocuteur direct ».
De son côté, l'UEFA avait mandaté un audit externe à la fin 1999 pour accompagner la réforme de sa structure. Depuis, l'organisation a mis en place une séparation nette entre comité exécutif (élu par les 52 pays membres) et direction opérationnelle. Cette répartition des rôles implique le contrôle du directeur financier par un membre du comité. Une réforme saluée comme un réel progrès, y compris par les esprits les plus critiques.
Les relations se sont détendues depuis lors. Comment l’UE a-t-elle choisi de célébrer son cinquantenaire ? En s’offrant 90 minutes de spectacle dans « l'un des plus prestigieux temples du football moderne, le stade Old Trafford », accueillant pour l’occasion « un match de gala opposant le Manchester United (un des plus puissants clubs de foot, financièrement parlant, ndlr) à Europe XI, une équipe réunissant les meilleurs joueurs européens du moment ». C’était le 13 mars 2007.
« Ce choix du sport numéro un en Europe pour fêter un tel événement n'a rien d’anodin », justifie la Commission européenne, évoquant « l'histoire commune de la construction européenne et du football ». Son président, M. Barroso, saluait là « une belle manière de marquer le cinquantième anniversaire de la création de l'UE, avec le football, ce merveilleux sport qui inspire les Européens comme nul autre et leur fait partager une passion et un langage communs ».

Gilles Labarthe / DATAS

(encadré 2)
Réforme ne signifie pas transparence
A Nyon, au siège de la Fédération européenne de football, le service des relations aux médias n’est pas très bavard sur les sommes astronomiques en jeu lors des compétitions. « Pour l’Euro 2008, nous n’aurons pas de chiffres précis avant septembre, mais je peux vous fournir un comparatif avec l’Euro 2004 qui s’est déroulé au Portugal ». Presque toutes les rubriques sont à la hausse : les droits de retransmission TV explosent, passant de 560 millions à une estimation de 800 millions d’euros (soit 1,32 milliard de francs suisses) en 2008 ; les droits commerciaux, de 183 à 250 millions d’euros ; le poste « hospitalité des entreprises » a quadruplé, atteignant 115 millions cette année… seule la vente des entrées (billetterie) reste stable : autour de 80 millions. Et les recettes : autour de 200 millions. Le chiffre d’affaires total présente une hausse assez extraordinaire de 70 % : de 852 millions en 2004, il s’élève à 1, 25 milliard d’euros en 2008. Dans son budget actuel, l’UEFA indique enfin avoir doublé ses dépenses pour l’événement : d’un coût de 313 millions, l’ardoise avoisine maintenant les 600 millions. Toujours au titre des dépenses, 450 millions d’euros prélevés sur les recettes sont redistribués à titre de « versements de solidarité aux associations membres de l’UEFA ».
L’opacité totale règne sur le montant des contrats conclus avec les sponsors et partenaires privés. On sait juste qu’ils se chiffrent en dizaine de millions d‘euros. En 2004, le sénateur français Yvon Collin s’était distingué en fustigeant le manque de « transparence » des comptes de l'association à but non lucratif de droit suisse, qui « ne sont pas disponibles ». « Pour toutes ses compétitions, l'UEFA n'a jamais communiqué de montants concernant ses contrats avec des sponsors », nous confirme le service des médias de l’UEFA à Nyon. Nous lui avons posé une dernière question : « L'UEFA étant une association sans but lucratif, pourquoi n'est-il pas possible d'obtenir davantage de précision sur ses budgets, ni d'obtenir des informations chiffrées sur les contrats avec les sponsors? » Là, plus de réponse.

Gilles Labarthe / DATAS