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Syngenta au Brésil : les graines de la discorde
A Santa Teresa do Oeste, dans l'Etat du Parana, un groupe de paysans liés au mouvement Via Campesina occupe depuis le 14 mars 2006 une unité de recherche appartenant à Syngenta. Ils dénoncent les agissements de la multinationale suisse, qui manipulait des plants de maïs et de soja transgéniques à moins de six kilomètres du parc national d'Iguaçu

Alain Bucher / DATAS

Voilà plus d’une année qu’un millier de paysans a " réquisitionné " le site de recherches du groupe Syngenta à Santa Tereza do Oeste, au sud du Brésil. L’action fait suite à la décision de l’Institut brésilien de l’environnement et des ressources naturelles (Ibama) de condamner la multinationale suisse à une amende de 500’000 dollars pour crime contre la bio-sécurité : les douze hectares de soja OGM de Syngenta étaient situés à quelques kilomètres seulement d’un parc naturel, classé patrimoine mondial par l’UNESCO.

Aujourd’hui encore, les mouvements de contestation locaux, comme les rebondissements juridiques liés à cette affaire, sont loin d’être terminés (lire encadré). A en croire les propos de Pedro Rugeroni, directeur général de Syngenta au Brésil, la situation est grave. Dans une récente interview accordée à la Folha de Sao Paulo, il déclare qu’en l’absence de garanties juridiques adéquates du gouvernement brésilien, le géant de l’agroalimentaire suisse pourrait suspendre ses investissements dans la région.

Contacté à Bâle, Médard Schoenmaecker, porte-parole du groupe, temporise : " Le Brésil reste un marché clé pour Syngenta. La situation n’affecte en rien notre engagement au Brésil, et n’a aucun impact sur l’ensemble de nos activités ". Médard Schoenmaecker nous certifie que l’interruption du programme de recherche n’a fait que retarder l’offre de certains produits sur le marché local.

Condamnation ou pas, la poursuite des activités de Syngenta au Brésil ne fait aussi aucun doute pour ses opposants régionaux, comme Maria Rita Reis, de l’association Terra de Direitos. Pour la simple raison que sous ces latitudes, la législation en matière d’OGM est bien plus stricte que dans les pays du Sud. Si les cultures d’OGM couvrent déjà près de 8 % des terres arables du globe, la réticence des pays industrialisés à les produire et à les commercialiser sur leur propre territoire n’est pas de nature à rassurer la population locale, qui a l’impression de jouer les cobayes.

Sur place, les multinationales sont souvent critiquées : elles useraient de tout leur poids économique pour influencer les décisions des instances politiques. Lia Giraldo, membre de la Commission technique nationale de bio-sécurité (CTNBio), déplore que cet organe, censé réguler la commercialisation des OGM, se retrouve asservi aux intérêts du marché. En mars 2007, le gouvernement brésilien a ainsi ramené à la majorité simple des voix de la CTNBio le quorum nécessaire à l’autorisation de commercialisation. Il était de deux tiers jusque-là.

Avec un chiffre d’affaires de plus de 8 milliards de dollars, Syngenta est l’un des leaders du secteur, juste derrière Monsanto et DuPont. En 2006, la firme suisse a consacré 232 millions de dollars - soit le tiers de son budget R&D - à la recherche sur les OGM. Un investissement apparemment fructueux, puisque dans son dernier rapport annuel, l’entreprise annonce un bénéfice net de 634 millions de dollars, alors que les actionnaires voient leur bénéfice par action grimper de 14 %.

Début mai, un communiqué de Syngenta vantait encore des résultats en hausse au premier trimestre, avec notamment la division Semences enregistrant une progression de 11 % à 940 millions de son chiffre d'affaires, le maïs et le soja progressant de 10 %.
Seule ombre au tableau : les démêlés juridiques de Syngenta au Brésil risquent d’entacher son image, déjà écornée par d’autres affaires, rappelle en Suisse la Déclaration de Berne. A l’heure où responsabilité sociale et environnementale ont tendance à constituer une valeur ajoutée importante aux yeux des consommateurs, les conséquences économiques pour Syngenta pourraient s’avérer plus lourdes que la firme bâloise ne l’admet aujourd’hui.

Alain Bucher / DATAS

(encadré)
Véritable feuilleton juridique, les rebondissements sud-américains de Syngenta Seeds sont dignes d’une telenovela brésilienne. Le 7 novembre 2006, le Tribunal de justice du Paraná donnait gain de cause à Syngenta. Deux jours plus tard, le gouverneur du Paraná signait un décret d’expropriation à l’encontre de la multinationale. Par la suite, le même Tribunal annulait l’ordre du gouverneur, et exigeait même que l’exécutif de l’État verse 25’000 dollars par jour à Syngenta, jusqu’à ce que sa propriété lui soit restituée. Le 18 mai 2007, dernier épisode de cet imbroglio : la Cour d'appel du Tribunal de justice du Paraná, par la voix de son "desembargador", a suspendu le 18 mai la décision de la juge Souza Camargo, de la 4ème cour économique, qui s'était prononcée pour la désoccupation en date du 25 avril.

Alain Bucher / DATAS