ENQUÊTES
Xstrata contamine puis se rit de la justice
(Genève, 24/01/2007) La Déclaration de Berne et Pro Natura remettent aujourd'hui dans le cadre du Forum économique mondial à Davos (WEF) les prix "Public Eye Awards", décernés aux entreprises les plus irresponsables. Dans la catégorie suisse, le trader de matières premières Xstrata - soutenu financièrement par la grande banque Crédit Suisse - a retenu l'attention pour accidents et pollution à répétition en Australie, mais aussi en Amérique latine. Les plaintes s'accumulent...

Marc Trezzini / DATAS

Dévier une rivière sur cinq kilomètres sous le nez des aborigènes… Quand ses intérêts financiers sont en jeu, la multinationale minière Xstrata ne s’embarrasse pas des populations locales, ni des contraintes environnementales, ni de l’avis du site britannique Mines & Communities, qui défend les droits de l’homme.
La firme suisse est aussi dans le collimateur de la Déclaration de Berne (DB) et de Pro Natura, qui décernent le jour même de l’ouverture du Forum économique mondial à Davos (WEF), le prix "Public Eye Awards" à des entreprises jugées irresponsables. Mais aussi – et pour la première fois - un prix positif à des firmes qui ont fait preuve de responsabilité sociale.
Dans la catégorie des mauvais élèves suisses, Xstrata a été retenue pour la nomination, aux côtés de l’entreprise fédérale d’armements Ruag et de la multinationale pharmaceutique Novartis.
Basée dans le paradis fiscal de Zoug (lire notre encadré), Xstrata exploite une mine de cuivre en Australie sur la MacArthur River. La DB critique ce projet qui détruira le lieu de subsistance des aborigènes, et risque fort de contaminer aux métaux lourds un environnement déjà très fragile.
Mais c’est surtout en Amérique latine (Pérou, Argentine et Chili), que la division cuivre de Xstrata cause de sérieux dommages environnementaux. De son siège à Antofagasta (Chili), elle dirige en effet des exploitations conjointes d’or et de cuivre pour un coût dix fois moindre qu’à la mine Mount Isa en Australie.
Dans la province de Catamarca (Argentine), la Mine Bajo la Alumbrera exploitée par Xstrata multiplie les accidents depuis 2004. Les plaintes ne cessent d’être déposées devant les instances juridiques. Les manifestations de contestation populaire sont constantes dans cette province, ainsi qu’à Tucumán et Santiago del Estero.
Le conduit minier qui relie la région d’Andalgalá (Catamarca) à Tucumán, sur plus de 300 Kilomètres, s’est brisé à plusieurs reprises, contaminant le Rio Dulce Salí et la rivière Villavil au chrome et cuivre. Le dernier accident encore s’est produit fin décembre 2006 à Ampujaco, souillant terre et eau sur trois kilomètres.
A Santiago, 14 pompes drainent les acides des strates inférieures, mais contaminent également les eaux du barrage du Rio Hondo. De manière similaire, de la chaux au strontium, un élément radioactif, a pollué de manière durable la région de San Juan.
Sergio Martinez, de l’Alliance des villages de la province de Catamarca, nous explique la gravité de la contamination : "La mine possède un conduit perméable qui laisse s’infiltrer dans la terre tous les acides. Ceux-ci coulent dans le bassin du Rio Vis-Vis puis débouchent dans le réservoir d’eau, "El Bolson de Pipanaco", qui alimente les plantations d’oliviers. En 1995, cette rivière avait été contaminée par des infiltrations d’acide à 600 mètres de profondeur sur une distance de deux kilomètres".
C’est aussi le gaspillage de l’eau par la multinationale minière suisse qui est dénoncé. "La mine utilise 100 millions de litres d’eau par jour, puisée dans le bassin "Campos del Arenal" à Santa Maria. Le débit des principales rivières du département s’est tari, et 70% de la production agricole a disparu", ajoute-t-il.
Chez les habitants, une teneur anormale en métaux lourds dans le sang a été observée. Plomb, chrome, vanadium, soufre, arsenic provoquent une augmentation des infections pulmonaires, des cas de cancer chez les enfants ainsi que des maladies de la peau. "A Andalgalá, 40 familles ont été intoxiquées directement par les fuites d’acides qui ont contaminé l’eau potable", confirme Martinez.
Jorge Daniel Taillant, du Centre des droits humains et de l’environnement (CEDHA – Argentine) précise: "L’entreprise minière a promis des écoles, des hôpitaux, des routes, mais on attend toujours. La communauté reste pauvre et au quotidien c’est les diarrhées constantes, la fin du tourisme et la mort du bétail".
Martinez mentionne que les autorités restent inactives: " Les gouvernements successifs se sont associés à l’entreprise, convaincus des bienfaits de la mine. Greenpeace n’intervient pas et les plaintes n’aboutissent pas. C’est une vraie contamination sociale".
Actuellement dans les trois provinces, des plaintes judiciaires (criminelles inclues), ont été déposées à l’encontre de Julián Rooney, vice-président de la mine. Interrogée sur ce point en Argentine et à Zoug, la société Xstrata ne nous a pas répondu. Selon Jorge Daniel Taillant, "les gouvernements des provinces sont en faveur du développement minier – la Constitution nationale octroie d’ailleurs des droits très larges aux entreprises depuis les années 1990 –. Quant à la population, elle n’est pas consultée : à Andalgalá, en octobre dernier, lors d’une réunion minière internationale, on voyait les hommes d’affaires invités déjeuner en écoutant les profits à engranger pendant qu’à l’extérieur, balles de caoutchouc et matraques faisaient régner l’ordre".

Marc Trezzini / DATAS

(encadré 1)
En Amérique du sud, Xstrata a le vent en poupe
Pour 750 millions de dollars, Xstrata a racheté à BHP Billiton la mine de cuivre de Tintaya (Pérou) en mai 2006. Une mine qui consolide la position de l’entreprise suisse dans ce pays où elle prospecte quatre gisements de cuivre et d’or à plus de 4000 mètres d’altitude, sur le site de Las Bambas (Apurimac).
Forte de son récent rachat de la canadienne Falconbridge, Xstrata prend aussi ses quartiers au Chili et développe le site d’El Morro (pour une participation à hauteur de 70%) ainsi que le projet chilo-argentin de El Pachón dans la province de San Juan (Argentine). Une exploitation qui annonce 200’000 tonnes de concentré de cuivre annuel, sur une période de vingt-trois ans.
Au Chili, l’expansion des mines de Collahuasi, Lomas Bayas et Altonorte est envisagée. Tandis qu’en Argentine, les efforts se concentrent sur l’extension de la mine Bajo la Alumbrera (exploitation jusqu’en 2016) ainsi que sur le commencement des travaux d’extraction à Agua Rica – une des plus importantes réserves d’or au monde, à 20 km d’Andalgalá – et à Filo Colorado.
Situé sur un site protégé, le projet d’Agua Rica est très critiqué. Sergio Martinez nous explique que les mèches utilisées pour la prospection minière sont lubrifiées au gazole et polluent les réservoirs d’eau en creusant sur 400 kilomètres des puits dans les nappes souterraines.
Au Pérou, l’exploitation à ciel ouvert de Las Bambas, qui couvrira une surface de 35’000 hectares, suscite l’inquiétude de Cathy Garcia, docteure ès sciences de l’Université de Lima, qui dénonce la propagande en faveur de la mine dans les écoles .
Dans cette région du sud, une des plus pauvres du pays, les dommages à l’environnement et au tissu social, pourraient devenir aussi sérieux qu’à Tintaya.
Mais pour l’heure, le manager du projet, Ronald Luethe, ne cache pas son enthousiasme. "L’arrivée de Xstrata a été un événement transcendantal pour la vie locale et régionale", explique-t-il dans le rapport annuel 2005 de Xstrata concernant le projet Las Bambas.
De son côté, le directeur général du département cuivre, Charlie Sartain, assure que des discussions avec des ONG de défense de l’environnement comme Mining dialogue forum, Oxfam ou encore Coperaccion, ont bien été engagées pour améliorer la qualité de vie de la communauté.

Marc Trezzini / DATAS

(encadré 2)
Xstrata, un chiffre d’affaires de 8 milliards
Le géant minier dont le siège est à Zoug, le canton suisse le plus clément sur le plan fiscal, a les moyens de s’imposer. Les cadres de l’entreprise sont des professionnels avertis, possédant une connaissance pointue du négoce des matières premières.
Deux d’entre eux, Willy Strothotte et Ivan Glasenberg, ont même survécu à bien des orages. Affidés du sulfureux Marc Rich, fondateur de Glencore international AG, ils l’ont soutenu quand ce dernier était dans les rets de la justice américaine pour commerce illégal avec l’Iran des ayatollahs, durant la crise de 1979.
Après le " départ à la retraite " de Marc Rich, la filiale de Glencore se réorganise. En 1999, Strothotte rebaptise Suedelektra en Xstrata, puis en 2001 nomme Mick Davis à la direction générale. Ce dernier avait fait ses preuves en Afrique du Sud occupant le siège de directeur général du géant minier britannique Billiton.
Actuellement, Willy Strothotte est président tant de Glencore que de Xstrata, tandis que Ivan Glasenberg, membre du conseil d’administration de Xstrata depuis 2002, est aussi directeur général de Glencore. Dans les années 1990, ce dernier a acquis son expérience de management en dirigeant le département charbon de Glencore.
Un département tristement célèbre, depuis qu’une enquête de la Télévision suisse romande diffusée le 29 juin 2006 a révélé que les deux firmes ont fait raser des villages entiers sur le site d’El Cerrejón en Colombie, expropriant leurs habitants avec la complicité des autorités et de l’armée.
Quant aux autres membres du conseil d’administration, on rappellera que Santiago Zaldumbide est directeur général de la division zinc et président d’Asturian Zinc, une succursale établie à San Juan de Nieva (Espagne).
Celle-ci avait défrayé la chronique en 2003 à cause de l’acquisition – à prix contesté – de l’usine de Nordenham (Allemagne) appartenant au groupe français Metaleurop, qui ferma définitivement sa filiale à Noyelles-Godault (Pas-de-Calais) pour des raisons budgétaires peu après le rachat.
Cotée sur le marché boursier de Londres, Glencore possède actuellement 35,7% de Xstrata, dont le chiffre d’affaires s’est élevé en 2005 à 8 milliards de dollars. Notons enfin que la grande banque Crédit Suisse a des participations importantes chez Xstrata, comme chez Glencore, BHP Billiton ou Falconbridge. Ce soutien financier n'est pas étranger à la force de frappe de Xstrata: parmi les sociétés les plus importantes du monde en termes de capitalisations boursières, le groupe d'exploitation et négoce de matières premières, coté à Londres, occupe la 161e place, avec 46,6 milliards de dollars. Au Canada, l’année boursière 2006 a été marquée par une grande vague de fusions et acquisitions. La plus grande transaction enregistrée a été l’achat de la minière Falconbridge par Xstrata, pour plus de 18 milliards de dollars US.

Marc Trezzini / DATAS