CULTURE
Palestine: les murs du "no man's land"
Le photographe canadien Larry Towell a passé quatre ans à suivre le quotidien des Palestiniens. Ses cadrages, volontiers panoramiques, proposent une autre lecture du conflit au Proche-Orient. Une approche centrée sur la question de la terre, à découvrir à la Fondation Henri Cartier-Bresson à Paris

Gilles Labarthe / DATAS

(Paris, 04/05/2005) Un petit rectangle pour en capturer un autre. Le modeste rectangle du viseur, celui de l'appareil photographique de Larry Towell, pour saisir au plus près le territoire de Gaza, étroite langue de territoire coincée contre la mer. Le Canadien Larry Towell, reporter chez Magnum, a passé quatre années à côtoyer des habitants assiégés, humiliés par l'armée, relégués dans des camps de réfugiés dévastés. Il lui suffit d'exposer aujourd'hui à la Fondation Henri Cartier-Bresson de Paris 58 images en noir et blanc - pas une de plus, pas une de trop - pour nous laisser pétrifiés face à la violence.
Poète et agriculteur dans l'Ontario, l'atypique Larry Towell ne montre pas les images de conflits opposant des activistes du Hamas aux forces israéliennes. La violence, l'émotion qu'il nous livre sont celles d'un peuple opprimé, à qui l'on refuse toujours, après un demi-siècle d'accords internationaux, le droit du sol. " L’identité nous vient de la terre, explique Larry Towell. Les Palestiniens sont des fermiers et des bergers. Si l’on ne parvient pas à remédier à cette perte de la terre, il ne pourra exister ni réconciliation personnelle, ni entente collective. Le peu qu’il reste de terre palestinienne a été taillé en friches par une infrastructure militaire faite de routes, de barrages, de tours de contrôle, de postes de sécurité, de murs et d’armes liés à l’expansion des colonies israéliennes. Les Palestiniens sont devenus de plus en plus violents, de plus en plus militants (…)".
Larry Towell a foulé des pieds cette maigre terre palestinienne de Gaza, de Jérusalem-Est, de Cisjordanie. Il a photographié à hauteur d'homme, à hauteur d'une population écrasée, mais jamais résignée. Du noir, des contrastes, mais aussi des plages de lumière. Au premier étage de son exposition intitulée "No man's land", des scènes pudiques. Celles de funérailles - des corps de civils abattus par Tsahal. Celles de gamins, armés de frondes ou de pierres, que l'on penserait sortis de l'école buissonnière, mais qui en réalité ripostent aux incursions d'invisibles chars israéliens. Là, un corps qui s'immisce dans une portion encore ouverte du fameux "mur de la honte", dont la construction a commencé en juin 2002 - un barrage de plus, voulu par le gouvernement d'Ariel Sharon, qui mesurera au final 700 kilomètres, entièrement pris sur le territoire palestinien…
Entourés de décombres laissés par les bombardements israéliens, de maisons systématiquement détruites, les Palestiniens cherchent une brèche, un espace. Ils guettent la moindre accalmie pour que la vie puisse suivre son cours. Au second étage, l'ambiance devient plus méditative. Larry Towell, qui "déteste voyager" mais a consacré une grande partie de ses reportages aux "sans terre" du Proche-Orient comme de l'Amérique centrale - les immigrés mexicains, entre autres - complète ses images de documents sonores, de collages, de chroniques ou de témoignages de pacifistes israéliens.
Avec ce dernier espoir: "Je crois en une partition en deux Etats entre la Palestine et Israël. Deux nations égales, sans compromis. Je sais que ce jour arrivera. Si nos promesses sont nimbées de lumière ".

Larry Towell : " No Man’s Land ", jusqu'au 6 août 2005 à la Fondation Henri Cartier-Bresson, Paris – www.henricartierbresson.org