SOCIÉTÉ
La viande exotique, c'est tellement plus chic
(Genève, 21/11/2005) Nouvelle mode très prisée des Anglo-saxons - mais combattue par les amis des animaux - la consommation de viande exotique serait promise à un bel avenir. Fini les produits insipides des supermarchés, place à une assiette "fit & fun" où steaks d'autruche, mais aussi de kangourou, de zèbre ou d'antilope se partagent la vedette

Gilles labarthe / DATAS

"Si l’originalité vous tente, essayez un filet de crocodile (23,75 euros / kg) ou un steak de zèbre (21,50 euros / kg). La viande de crocodile provient du Zimbabwe (Lac Kariba). Sa structure blanche ressemble à celle de la volaille, mais son goût est plus proche de celui du poisson. Quant à la viande de zèbre, en provenance d’Afrique du Sud, son goût se situe entre la viande de cheval et de bœuf". Le conseil nous vient de la multinationale belge de distribution Delhaize, bien implantée en Europe et surfant sur une nouvelle tendance de consommation, très en vogue chez les Anglo-saxons.

Comme l'analyse à Londres Hugh Westbrook pour Just-Food, centre d'information sur l'alimentation, le marché de la viande exotique, autrefois réservé aux curieux, connaît en effet une nette évolution ces dernières années. D'abord, en raison de la lassitude occasionnée par les produits insipides vendus par les supermarchés. Ensuite, en réaction aux épidémies de la "vache folle" - et plus récemment, de la grippe aviaire.

En termes de marché, la viande exotique désigne tout ce qui n'est pas banalisé par la grande distribution. Principalement, la chasse. En Angleterre, ce marché très controversé "aurait augmenté de 17% en 1999-2004, pour atteindre 72,4 millions de dollars cette dernière année", précise Hugh Westbrook, qui se réfère aux chiffres de Mintel, groupe spécialisé dans les études de marché. Explications: ce type de viande est perçue comme étant "plus saine", plus riche en protéines, pauvre en cholestérol et en graisse. Si une entreprise parvient à assurer l'approvisionnement, elle peut espérer développer cette "niche" encore très restreinte, mais en plein boom.

Toujours en Angleterre, la société Osgrow, spécialisée dans la viande d'autruche, a d'ailleurs "vite étendu ses produits à 22 types de viandes exotiques". La compagnie Alternative Meats fournit déjà ce genre de produits aux hôtels et restaurants de la région, tandis que 40% de ses ventes dans le pays se font par Internet. Avec un simple click et un paiement par carte de crédit, le consommateur peut s'offrir la "Safari selection", un délicat choix de viandes concocté par Alternative Meats et provenant d'Afrique ou d'Australie. Les animaux sont garantis "chassés par des professionnels, après avoir vécu sainement dans les grands espaces de liberté", souligne la maison, qui vient de développer une nouvelle gamme de produits à base de viande exotique pour mieux nourrir les animaux de compagnie, chiens et chats.

"Désolé de devoir préciser que nous ne pouvons livrer pour l'instant ailleurs qu'en Grande-Bretagne", informe Alternative Meats pour les intéressés. Reste maintenant à rassurer les associations de défense des animaux, comme l'organisation végétarienne Viva, qui s'inquiète de ces nouvelles tendances. Jeanette Edgar, directrice d'Alternative Meats, y a songé: "les gens sont tellement sensibles au sujet de la mort des animaux. Nos abattoirs en Afrique du Sud sont conformes aux normes européennes. Pour le crocodile, les éleveurs s'intéressent à leur peau, ils ne peuvent donc pas être maltraités".

Contactés au siège de Genève et de Zurich, les responsables de WWF n'ont pas connaissance d'une mobilisation particulière menée à ce jour en Suisse contre ce type de consommation. A la Société de protection des animaux à Bâle, Mark Rissi se souvient d'une "campagne d'information dénonçant la consommation de viande de crocodiles importés d'Afrique du Sud". Lancée en 1994, la mode des steaks exotiques n'avait pas rencontré le succès escompté (lire ci-dessous). La tendance n'aurait guère évolué.

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Les Suisses ont la dent sensible
En France, le quotidien L'Humanité avait brossé un portrait sardonique de l'intérêt des Suisses pour la viande exotique, signalé dès 1996. Berne avait alors autorisé l’importation de kangourou et de crocodile, entre autres. Environ 4'000 tonnes de gibiers franchissaient chaque année la frontière. "A grand renfort de campagnes médiatiques, les mâchoires helvétiques furent appelées à tenter l’aventure", écrivait le journaliste Jacques Teyssier. "Les nutritiologues furent appelés à la rescousse. Restaurateurs et aubergistes jouèrent un peu le jeu. Avec, du bout des lèvres, le soutien de la Fédération de la restauration et de l’hôtellerie. Aujourd’hui, le constat est sévère. Mais il est unanime. Les Suisses boudent ces viandes exotiques. A peine quelques tonnes. Le kangourou est perçu comme beaucoup trop sympathique pour atterrir dans l’assiette. A l’inverse, le crocodile effraie".

Piètre consommateur, notre pays est fourni entre autres par le distributeur belge Multimeat NV, à Ranst. La promotion de viande exotique passe aussi par les maisons de tourisme comme Voyageplan, à Montreux, qui vante "la dégustation de spécialités telles que "la viande de kangourou, d'émeu ou le steak de crocodile"… mais à consommer sur place, en Australie. Il y a une dizaine d'années, la Migros avait innové en distribuant les steaks d'autruche. Elle se limite aujourd'hui encore à ce seul produit, nous informe à Zurich Nathalie Eggen, responsable de communication: "les autres viandes exotiques, kangourous ou zèbres, ne sont pas vendus par la Migros". Les Suisses peuvent toujours se rabattre sur le bison, élevé "à domicile": les Romands se sont habitués à en voir paître au bout de la piste d'atterrissage de Genève-Cointrin, en bordure d'autoroute.

Gilles Labarthe /DATAS