FIRMES
Occupation d'une usine Nestlé dans le Sud de la France
(Paris, 30/06/2005) Sous prétexte de "manque de compétitivité", la direction de Nestlé supprime 427 emplois sur son site marseillais, dans une vallée de l'Huveaune déjà frappée par les délocalisations. Les salariés occupent l'usine afin de "protéger l'outil de production". Polémique

Gilles Labarthe / DATAS

La série noire continue dans le Sud de la France. Après la fermeture des usines Lustucru à Arles et Arkema à Saint-Auban, le conflit de Perrier-Nestlé à Vergèze, c'est au tour du site marseillais de Nestlé de passer à la trappe. Sous prétexte de "manque de compétitivité", la direction de la multinationale agroalimentaire suisse a en effet concocté un plan de fermeture du site de Saint-Menet. Conséquence: la suppression de 427 emplois. La mesure, très impopulaire dans la région, intervient dès aujourd'hui. Elle suscite d'autant plus de colère et d'indignation de la part des salariés, des syndicats locaux et de leurs sympathisants que le maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin (de l'UMP, parti majoritaire de droite) avait encore affirmé il y a deux mois que " le site ne doit pas fermer ".

Dans la presse française, L'Humanité s'étonne de la vitesse avec laquelle les autorités locales ont accordé leur feu vert à la direction de Nestlé. En mars dernier, le Tribunal de grande instance de Marseille avait demandé à la multinationale de fournir au comité central d’établissement (CCE) les éléments d’information lui permettant d’apprécier ce qui justifie la politique de Nestlé dans la région: conjoncture économique défavorable ou stratégie industrielle et commerciale planifiée de longue date ? À ce jour, la direction n’aurait toujours pas fourni les pièces permettant d'apprécier la situation, estime le quotidien communiste. Cela n'a pas empêché le juge concerné par le dossier de déclarer que la décision de fermer le site le 30 juin " relève de la seule appréciation d’un employeur opérant dans une branche d’activité hautement concurrentielle et dont la mise en oeuvre ne peut être enrayée par des surenchères sans fin ".

Autrement dit, salariés, syndicats et négociateurs sont renvoyés dos au mur. Au siège de Nestlé à Vevey, le porte-parole François-Xavier Perroud résume la situation sans rentrer dans les détails: "c'est une usine qui malheureusement ne fonctionnait qu'avec des capacités très limitées". Au siège de Nestlé France, son collègue Eric André-Dominé ne nous éclaire pas davantage. II avance que la multinationale a suffisamment donné d'explications (mais sans jamais nous les fournir): "Nous avons eu 24 réunions au total avec les comités d'établissement, réunions auxquels les représentants des salariés n'ont pas toujours assisté. Nous avons donné au Tribunal les raisons économiques de cette fermeture, qui a été approuvée le 22 juin".

Quelles sont ces fameuses raisons économiques? Plusieurs observateurs mentionnent le moindre coût de production d'autres usines Nestlé, ailleurs dans le monde, mais aussi la baisse des exportations depuis la France. Eric André Dominé refuse de parler de "délocalisation", jugeant que "le terme n'est pas tout à fait approprié". Quelle autre usine de Nestlé compensera la production marseillaise de café soluble et de chocolat ? Pas de réponse (lire encadré). Qu'adviendra-t-il alors des salariés? "Nous leur proposerons un emploi dans un des nombreux établissements Nestlé en France, ou dans d'autres usines pour ceux qui veulent rester dans la région marseillaise", conclut Eric André-Dominé, sans préciser les conditions de reclassement: comme salariés, ou intérimaires?

Cette fermeture du site de Saint-Menet, prévue aujourd'hui mais encore soumise à un recours, ne se fera pas sans tensions. La semaine dernière, 250 salariés réunis en assemblée générale ont décidé d’occuper l’usine afin de " protéger l’outil de production ". Seront-ils expulsés manu militari? La direction de la firme suisse devrait en effet venir ces prochains jours démanteler le parc des machines. Nestlé a déjà refusé que la fabrique trouve un repreneur français, "de crainte de favoriser un concurrent".

Gilles Labarthe / DATAS

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Rapatrier la production en Suisse

Salariés marseillais, syndicats et parlementaires régionaux demandent l'ouverture d’une table ronde réunissant les collectivités territoriales et la direction de Nestlé, afin de trouver une solution permettant la poursuite de l’activité à Saint-Menet, qui tourne depuis 51 ans. Le site de Nestlé à Saint-Menet (une des 36 usines de Nestlé en France) fabriquait du Nescafé, du Ricoré, des tablettes de chocolat Crunch et d'autres marques de chocolat. Elle était "en sous-production malgré deux plans de restructuration en 1993 et en 2001", justifie la direction. Les sites Nestlé de Dieppe, Boué, Dijon et Pontarlier produisent eux aussi ce genre de confiseries chocolatées. Mais c'est dans le canton de Fribourg, à Broc (ancien site Cailler), que la firme embauche: elle a notamment repris depuis 2003 la fabrication de produits français et allemand. Un exemple: le rapatriement de la production de la gamme de pralinés Lanvin - jusqu'alors produite par Nestlé France à Dijon. Signe des temps, le seco (Secrétariat d'Etat à l'économie) informe d'ailleurs que la direction de Nestlé effectue à Berne, régulièrement et depuis trois ans, de nouvelles demandes pressantes d'octroi de permis de travail pour son usine de Broc. Entre autres, de travail de nuit. Motif: "horaires d'exploitation indispensables pour des raisons économiques" et "besoins urgents". Il y a trois ans, le directeur de la chocolaterie de Broc Christophe Stettler expliquait le principe: "le groupe Nestlé a de très bonnes connaissances du coût de production dans les fabriques de France, d’Allemagne ou d’Espagne. On compare et l’on cherche où les différences peuvent être réduites. Dans le domaine du café, le centre de production d’Orbe, par exemple, est aujourd’hui un site important au niveau européen". A Marseille, la CGT estime qu'il existe pourtant des débouchés suffisants dans le chocolat de ménage et le café soluble pour faire continuer de faire vivre l'usine de Saint-Menet - à condition d'avoir des exigences de rentabilité moins ambitieuses que celles du groupe Nestlé. Comme l'expriment des responsables syndicaux français, avec un tee-shirt détournant un slogan de la marque : "Nestlé, c'est fort en licenciement".

Gilles Labarthe / DATAS