ECONOMIE
Climat : certains l’aiment chaud !
ExxonMobil a dépensé entre 2000 et 2003 8 millions de dollars pour financer 40 groupes de pression sceptiques sur le changement climatique, selon une enquête américaine. Objectif : déculpabiliser les consommateurs qui polluent et s’assurer que l’Etat n’intervienne pas. Réactions d’un porte-parole d’ExxonMobil.

Philippe de Rougemont / DATAS

(07/05/2005) “ Le financement de la recherche sur le changement climatique perpétue pour nous une longue tradition ”. Lee Raymond, PDG d’ExxonMobil, ne cachait pas sa généreuse politique de mécénat scientifique en confirmant au début de l’année la poursuite du financement de recherches scientifiques sur le climat. C’est précisément ce financement d’instituts que de nombreuses organisations écologistes mettent aujourd'hui en cause.
Aux Etats-Unis, une myriade d’instituts privés bénéficient de budgets comptés en millions de dollars. Au-delà des lobbys, les sommes versées pour gonfler la présence des scientifiques sceptiques dans l’arène publique ont aussi arrosé le monde des médias - dont Tech CentralStation.com, une agence de presse thématique réalisant des clips d’information, d’analyses et de commentaires politiques. Cette agence a reçu 95’000 dollars d’ExxonMobil en 2003. Un journaliste de la populaire chaîne de télévision FoxNews et de nombreux experts intervenant dans les médias ont eux aussi reçu de l'argent de la multinationale américaine. En trois ans, ExxonMobil aurait dépensé, entre 2000 et 2003, 8 millions de dollars pour financer 40 groupes de pression sceptiques sur le changement climatique, selon une enquête de Chris Mooney, à paraître dans la prochaine édition de l’hebdomadaire étasunien MotherJones. Un de ces lobbys, l’institut américain du pétrole (API), définit bien l’objectif : " la victoire sera atteinte lorsque la reconnaissance de l’incertitude sur le climat sera devenu un lieu commun ".
La plupart de ces experts partisans proviennent en fait d'instituts proches du parti républicain, affirme George Lakoff, auteur d’un best-seller sur la machine politique néo-conservatrice . Leur objectif ? Déboulonner les modèles climatiques qui font actuellement consensus et accroître la crainte des citoyens étasuniens envers les coûts qu’imposerait le protocole de Kyoto. Les lobbies de l’industrie lourde sont conscients que si le public aime frissonner à l’évocation des changements climatiques, il aime aussi être déculpabilisé pour son mode de vie. C’est ce message rassurant que le candidat Bush offrait pendant la campagne présidentielle de 2000. Un an après sa première élection, à la suite d'un travail de pression mené par ExxonMobil, il retirait les Etats-Unis du Protocole de Kyoto. La multinationale du pétrole est depuis devenue “ criminel climatique n°1 ”, selon Greenpeace International.

ExxonMobil répond
Que pense par exemple M. Russ Roberts, porte-parole d'ExxonMobil à Dallas, au sujet du réchauffement climatique ? Roberts nous répond : “ Nous pensons avec plusieurs autres organisations et chercheurs respectés, que les données scientifiques sur les émissions de gaz à effet de serre sont peu concluantes et que les études doivent continuer ”. Surtout lorsqu’elles sont financées par ExxonMobil, bien évidemment. “ Malheureusement, la recherche sur le climat ne devient un sujet d’inquiétude pour les médias que lorsqu’il s’agit de lobbying ou de financement provenant de l’industrie. Pas quand l’argent vient du lobby vert ”, s'offusque Roberts. Pendant qu’ExxonMobil préconise de continuer la recherche, le géant du pétrole peut envisager tranquillement encore plusieurs années d’écoulement du stock mondial de brut, industrie dont il est le numéro un mondial.

1. Don’t think of an elephant, George Lakoff, Chelsea Green publishing, Vermont, 2004

Philippe de Rougemont / DATAS