SUISSE
Inscrire les médecines alternatives dans la Constitution
Pas facile de survivre quand on se spécialise dans les médecines alternatives dites "complémentaires". Malgré préjugés, menaces de mise en faillite et aujourd'hui, la politique d'épicier de Pascal Couchepin, le centre de La Corbière (Fribourg) s'apprête à fêter son dixième anniversaire. Il garde quelques piques en réserve. Témoignage d'un responsable

Gilles Labarthe / DATAS

Canton de Fribourg, Estavayer-le-Lac. Niché dans la verdure, le centre de santé de La Corbière. C'est dans un cadre idyllique que travaillent et soignent une dizaine de médecins, généralistes, homéopathes, cancérologues ou acupuncteurs, une demi-douzaine de médecins ou chirurgiens-dentistes, plus des thérapeutes diététiciens, psychologues, ostéopathes ou kinésiologues. Solidaires entre eux, tous ces collaborateurs se sentent concernés par la mesure annoncée vendredi dernier par Pascal Couchepin: le non-remboursement dès le 30 juin prochain de cinq méthodes - l'homéopathie, la médecine anthroposophique, la thérapie neurale, la phytothérapie et la médecine chinoise - jusque-là prises en charge par l'assurance-maladie à titre provisoire. Un nouveau coup dur pour les spécialistes des médecines alternatives?

A La Corbière, la décision du ministre de la santé, qualifiée "d'unilatérale", est accueillie "sans surprise". La direction du centre s'est depuis longtemps préparé au pire, soutenant entre autres l'initiative “Oui aux médecines complémentaires“ (1). Maigre consolation, le succès de cette l'initiative, soutenue par des parlementaires, semble au rendez-vous: elle a déjà recueilli plus de 137'000 signatures, informe un responsable.

En attendant que Berne enclenche ses lentes procédures administratives, les thérapeutes de La Corbière ne cachent pas leur déception. Il y a d'abord le peu de cas qui est fait de leur conception globale (dite holistique) de la santé: "On ne peut considérer un symptôme isolé sans prendre en compte la globalité de la personne, explique la direction. L'ensemble des collaborateurs du centre partage cette conception". Or, cette dernière est aujourd'hui totalement méprisée par le ministre de la santé, et battue en brèche au niveau fédéral.

"Une fois de plus, on tire à boulets rouges sur une ambulance": d'une voix douce, le kinésiologue Juan Fernandez redoute la perte d'une partie des clients de la médecine complémentaire, faute de remboursement des soins. Dommage: les personnes qui seront touchées par la décision de Couchepin "sont justement celles qui sont les plus sensibilisées aux questions de meilleure santé, celles qui assurent elles-mêmes une partie de leur prise en charge", explique le thérapeute. De plus, on sait qu'en recourant aux médecines douces, à l'homéopathie et à la phytothérapie, par exemple, leurs soins coûtent bien moins cher.

"Les frais attribués aux médecines complémentaires représentent une part infime des milliards dépensés pour la santé. A l’évidence, ce n’est pas là que l’on va faire de grosses économies. Il en irait autrement si on faisait pression sur le prix des médicaments qui en Suisse, sont en tout cas 25% plus chers que dans les pays voisins", analyse encore Juan Fernandez. Pascal Couchepin serait plus avisé et courageux s'il se décidait enfin à rogner sur les intérêts économiques des géants pharmaceutiques suisses, défendus à Berne par de puissants lobbies.

En somme, avec le non-remboursement des médecines alternatives, Couchepin propose "des économies de bouts de bois". Dans un autre camp, sa décision apporte un joli cadeau aux assureurs, qui pourront proposer de nouvelles formules de remboursement moyennant des assurances complémentaires, avec des primes de 8 à 12 francs par mois. La multiplication est intéressante: plus de 600'000 Suisses - environ un citoyen sur douze - pratiqueraient les cinq méthodes alternatives en question. Pour les caisses d'assurance, c'est un nouveau marché évalué à quelques dizaines de millions par an.

Gilles Labarthe / DATAS

(1) Disponible sur le site: www.oui-aux-medecines-complementaires.ch

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La Corbière, 10 ans d'alternative

La Corbière célèbre cette année sa première décennie. Son personnel en profitera pour attirer à nouveau l'attention du public sur la situation toujours périlleuse des médecines parallèles, confrontées aux préjugés comme aux coupes budgétaires. Pour fêter les dix ans du centre, les responsables organisent un congrès qui aura lieu du 24 au 27 novembre. Le thème général? "La place de la médecines alternatives dans la société". Le pré-programme sera bientôt disponible. "Nous aurons entre autres l'occasion, lors de ce congrès, de revenir avec des spécialistes sur les rumeurs qui évoquent des pressions subies par certains responsables du rapport fédéral sur les médecines complémentaires (le fameux programme d'évaluation PEK, chargé d'examiner si ces méthodes "correspondent aux critères d'efficacité, d'adéquation et d'économicité inscrits dans la loi", ndlr)", précise Juan Fernandez. Plusieurs sources ont en effet informé ces derniers jours des jeux d'influence exercés par différentes personnalités sur les responsables et scientifiques afin de biaiser ou écarter certaines données trop favorables à la médecine complémentaire. Les récentes déclarations de M. Hans-Peter Studer, ancien membre du PEK à l'Office fédéral de la santé publique (OFSP) de Zürich, en témoignent.

Gilles Labarthe / DATAS