SUISSE
Des entreprises genevoises dans le collimateur de l'ONU
Le rapport intermédiaire publié cette semaine par la Commission d'enquête indépendante sur le programme "pétrole contre nourriture" confirme les responsabilités de firmes genevoises dans les malversations

Gilles Labarthe / DATAS

(05/02/2005) A lire plus en détail les 219 pages du rapport intermédiaire rendu public jeudi, on s'aperçoit que l'ONU est une grande famille. La Commission d'enquête indépendante dirigée par Paul Volcker - ancien patron de la Réserve fédérale américaine - charge ainsi Benon Sevan, patron du programme «pétrole contre nourriture» dès 1997, pour avoir «gravement porté atteinte à l'intégrité de l'ONU». «M. Sevan s'est placé lui-même, de façon continue, dans une situation de conflit d'intérêts qui viole les règles explicites des Nations Unies et les standards d'intégrité essentiels à sa fonction au niveau international», a déclaré en substance M. Volcker cette semaine.

Benon Sevan, un fonctionnaire de 67 ans, qui a travaillé quatre décennies au service de l'ONU, se retrouve aujourd'hui dans le rôle de «fusible». Son lynchage médiatique laisse percevoir les nombreuses amitiés que ce brillant diplomate, au service de causes humanitaires, entretenait avec des firmes pétrolières, genevoises entre autres. Les enquêteurs mentionnent par exemple le rôle «d'intermédiaire» joué par Benon Sevan entre le régime de Saddam Hussein et l'African Middle East Petroleum Company (AMEP), trader enregistré à Panama (paradis fiscal), mais basé en Suisse. Petite société méconnue, l'AMEP est dirigée par Fakhry Abdelnour, lequel se trouve être un cousin de... Boutros Boutros-Ghali, ancien secrétaire général de l'ONU.

Benon Sevan aurait demandé en juin 1998 au ministre du Pétrole irakien, Amer Rachid, ainsi qu'à un diplomate irakien à l'ONU, d'accorder des allocations de brut à l'AMEP. Il fallait user d'une certaine influence, puisque la résolution 986 du Conseil de sécurité de l'ONU permettait au Gouvernement irakien de choisir librement ses acheteurs de pétrole. L'AMEP, trader suisse dont les bureaux commerciaux se trouvent à Genève au 33, quai Wilson et au 86, rue du Rhône, selon les cartes de visite de son directeur, aurait ensuite acheté 1,8 million de barils irakiens, à un tarif très avantageux en raison de sanctions internationales qui pesaient sur Bagdad.
«L'AMEP n'a pas pris possession physiquement de ce 1,8 million de barils pour lesquels elle s'était engagée par contrat. Au lieu de cela, à la fin octobre 1998, elle a vendu la moitié du lot à Addax BV (compagnie pétrolière genevoise, ndlr), et une autre moitié à STASCO», note ote le rapport. Passé d'un trader à l'autre sans même y toucher, le brut a été revendu bien plus cher sur le marché international, les transactions ne faisant qu'effleurer les bords du lac Léman et les couloirs du Palais des nations. Ce type d'opération a pu être mené à plusieurs reprises, permettant à l'AMEP des gains d'environ un million et demi de dollars.

Le fonctionnaire onusien a-t-il été payé en retour pour ses «services»? Il semble que oui, puisque Benon Sevan a ensuite vu son compte crédité de 160'000 dollars. Le patron du programme «pétrole contre nourriture» explique que cette somme lui aurait été versée par sa vieille tante, habitant en réalité dans un modeste appartement à Chypre. La Commission d'enquête devra encore établir certains faits. En attendant, la presse anglo-saxonne avance que deux autres traders suisses auraient également été impliqués, à un moment donné, dans ce type de commerce onusien.
L'affaire Benon Sevan permet pour l'instant de détourner l'attention du secrétaire général de l'ONU Kofi Annan et de son fils Kodjo, lui aussi impliqué en tant qu'ancien employé de la société d'inspection genevoise Cotecna, également mandatée dans le cadre du programme «pétrole contre nourriture». Un second volet de l'enquête viendra préciser ces prochains mois s'il y a aussi eu des conflits d'intérêts, dans ce cas, pour l'obtention de contrats par l'ONU.